En ce jour symbolique du 14ème anniversaire de la Révolution tunisienne qui a renversé le dictateur Ben Ali en 2011, des dizaines de manifestants ont bravé les interdits pour se rassembler à Tunis. Leur revendication : la libération de figures emblématiques de l’opposition au président Kais Saied. Un cri du cœur pour la démocratie dans un pays en proie à une dérive autoritaire préoccupante.
La rue tunisienne ne désarme pas
Malgré un important dispositif policier, les protestataires se sont réunis à l’appel du Front de salut national (FSN), principale coalition de l’opposition. Dans leurs rangs, on retrouve notamment le parti islamo-conservateur Ennahdha, bête noire du président Saied. Les slogans résonnent avec force : « Libertés ! Magistrature aux ordres ! », « Fidèles au sang des martyrs » de la Révolution. Des mots qui témoignent d’une colère face à ce qu’ils dénoncent comme « la répression » des opposants.
Parmi les portraits brandis, ceux d’Ali Larayadh, ex-Premier ministre et dirigeant d’Ennahdha poursuivi dans une affaire liée à l’envoi de jihadistes en Syrie, ou encore de Jawhar Ben Mbarek, juriste et co-fondateur du FSN accusé de complot contre la sûreté de l’État. Des figures devenues malgré elles les symboles d’une démocratie en péril.
Le 14 janvier, une date indélébile
En changeant par décret la date officielle du début de la Révolution et en supprimant le jour férié du 14 janvier, le président Saied pensait peut-être effacer ce moment historique de la mémoire collective. C’était sans compter sur la détermination des Tunisiens attachés à cette date symbole. Pour Chaima Issa, responsable du FSN elle-même poursuivie en justice, « le 14 janvier n’est pas une date facile à effacer. Cette avenue (Bourguiba, ndlr) a été le témoin d’un événement historique majeur ».
Car ce jour-là, la Tunisie a écrit une page d’Histoire. Des manifestations rassemblant toutes les générations et sensibilités politiques, venues des quatre coins du pays, ont fait fuir Ben Ali après 23 ans d’un règne sans partage. Le point de départ des Printemps arabes qui allaient embraser la région. Plus qu’une date, le 14 janvier est devenu le symbole des espoirs de liberté et de dignité d’un peuple.
La Tunisie sur une pente dangereuse
Mais 14 ans après, force est de constater que le chemin est encore long et semé d’embûches. Depuis son coup de force de l’été 2021, le président Saied a considérablement renforcé ses pouvoirs, au détriment des contrepouvoirs et de la société civile. Les ONG tunisiennes et étrangères tirent la sonnette d’alarme sur une « dérive autoritaire » préoccupante, avec des arrestations d’opposants, syndicalistes, militants, avocats et journalistes qui se multiplient.
Plus de 170 personnes sont actuellement en détention pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux selon Human Rights Watch, certaines attendant un jugement depuis 2022.
Un triste bilan pour le berceau du Printemps arabe, qui avait suscité tant d’espoir en étant le premier à renverser son dictateur en 2011. La Tunisie, longtemps citée en exemple, semble aujourd’hui s’enfoncer doucement mais sûrement dans l’autoritarisme, mettant en péril ses acquis démocratiques si chèrement arrachés.
Quel avenir pour la démocratie tunisienne ?
Face à cette situation préoccupante, la société civile tunisienne ne baisse pas les bras. Les manifestations comme celle du 14 janvier en sont la preuve éclatante. Malgré la répression et les tentatives du pouvoir de réécrire l’histoire, l’esprit de la Révolution reste vivace dans le cœur de nombreux Tunisiens.
Mais la route s’annonce difficile. Le président Saied, fort de sa légitimité électorale, semble bien décidé à imposer sa vision d’une « nouvelle République » au prix d’un recul démocratique inquiétant. Les prochains mois seront décisifs pour l’avenir du pays. La société civile, l’opposition et la communauté internationale auront un rôle crucial à jouer pour défendre les acquis de la Révolution et empêcher la Tunisie de sombrer dans l’autoritarisme.
Car au-delà de la Tunisie, c’est le destin des transitions démocratiques issues des Printemps arabes qui est en jeu. Si le pays pionnier venait à échouer, quel espoir resterait-il pour les autres ? La Tunisie a été un phare pour la région en 2011. Puisse-t-elle le rester, en prouvant qu’en dépit des vents contraires, l’aspiration des peuples à la liberté et la dignité ne peut être étouffée. Les manifestants du 14 janvier en sont convaincus. À nous de les soutenir, pour que le rêve tunisien ne se transforme pas en désillusion.