Un geste fort, un message clair. Marjane Satrapi, célèbre artiste franco-iranienne mondialement connue pour sa bande-dessinée autobiographique Persepolis, a annoncé ce lundi 13 janvier son refus de la Légion d’honneur. Une décision motivée par ce qu’elle dénonce comme « l’hypocrisie » de la France vis-à-vis de l’Iran, son pays d’origine secoué depuis septembre par un mouvement de contestation sans précédent.
Un choix guidé par ses principes et son attachement à l’Iran
Dans une lettre adressée à la ministre de la Culture Rachida Dati et publiée sur Instagram, Marjane Satrapi explique les raisons de son refus. Promue chevalier de la Légion d’honneur en juillet dernier, la réalisatrice de 55 ans a choisi de « décliner » cette distinction en raison de ses « principes » et de son « attachement » à sa « patrie de naissance ».
Loin d’exprimer un quelconque « mépris » envers l’institution qui a voulu l’honorer, ce geste se veut avant tout une marque de « solidarité avec les Iraniens, surtout avec les femmes et avec la jeunesse iranienne », mais aussi avec ses « compatriotes français retenus en otage en Iran », comme elle l’explique dans une vidéo accompagnant sa publication.
La dénonciation d’une « attitude hypocrite » de la France
Au cœur de sa décision, Marjane Satrapi pointe du doigt ce qu’elle perçoit comme une « attitude hypocrite de la France vis-à-vis de l’Iran ». D’après elle, le soutien affiché par les autorités françaises à la révolution iranienne, notamment aux femmes luttant contre l’obligation du port du voile, ne se traduirait pas par des actes concrets.
Les Iraniens n’ont pas besoin de communication, nous avons besoin d’actions concrètes
Marjane Satrapi
L’artiste dénonce notamment les difficultés rencontrées par de nombreux Iraniens, « jeunes épris de liberté, dissidents, artistes » pour obtenir des visas, y compris touristiques, alors que dans le même temps, les enfants d' »oligarques iraniens » bénéficieraient d’une grande liberté de circulation entre Paris et Saint-Tropez.
Un appel à des actions concrètes au-delà de la communication
Pour Marjane Satrapi, le soutien à la révolution iranienne ne peut se limiter à des « photos avec des victimes ou des célébrités lors des commémorations de la mort de Mahsa Amini », cette jeune femme dont le décès en détention pour port du voile « incorrect » a mis le feu aux poudres en Iran en septembre dernier.
Son message est clair : « Le refus de la Légion d’honneur n’est en aucun cas une action ou une pensée contre la France », pays qu’elle aime « profondément » et qui est devenu le sien. Il s’agit plutôt d’un appel à ce que « la France reste fidèle à elle-même » dans ses valeurs de liberté et d’accueil.
Je serai honorée lorsque tous les défenseurs de la liberté le seront à mes côtés
Marjane Satrapi
Un geste fort qui suscite le débat sur la position de la France
La décision de Marjane Satrapi a suscité de nombreuses réactions, beaucoup saluant le courage et la cohérence de l’artiste franco-iranienne. Son refus de la Légion d’honneur jette une lumière crue sur les contradictions de la position française face à la crise iranienne.
D’un côté, la France affiche un soutien de principe aux aspirations démocratiques du peuple iranien. De l’autre, elle est régulièrement accusée de ménager le régime de Téhéran, notamment pour préserver ses intérêts économiques et géopolitiques dans la région.
Le geste de Marjane Satrapi vient rappeler avec force que pour nombre d’Iraniens et de Franco-Iraniens, les paroles ne suffisent plus. Ils attendent désormais de la France et de la communauté internationale des actes forts pour soutenir concrètement leur combat pour la liberté.
Un symbole de l’engagement des artistes franco-iraniens
Marjane Satrapi incarne, par son parcours et son œuvre, les liens étroits et complexes unissant la France et l’Iran. Arrivée en France en 1994, naturalisée française en 2006, elle n’a cessé à travers ses créations de jeter des ponts entre ses deux cultures.
Son chef d’œuvre Persepolis, récit autobiographique de son enfance dans l’Iran post-révolutionnaire, lui a valu une renommée mondiale et a contribué à faire connaître au grand public la réalité de la société iranienne. Adapté au cinéma en 2007, le film a obtenu le Prix du Jury au Festival de Cannes.
Par son refus de la Légion d’honneur, Marjane Satrapi s’inscrit dans la lignée des artistes engagés, mettant sa notoriété au service de ses convictions. Son geste résonne comme un appel à la France pour qu’elle soit à la hauteur de ses valeurs universelles de liberté et de fraternité.
Un électrochoc pour repenser les relations franco-iraniennes ?
Au-delà du symbole, la décision de Marjane Satrapi pourrait bien marquer un tournant dans la perception des relations entre la France et l’Iran. Elle met en lumière les attentes de la diaspora iranienne et des défenseurs des droits de l’Homme envers les autorités françaises.
Face à la répression sanglante qui sévit actuellement en Iran, avec près de 500 manifestants tués selon les ONG, la France peut-elle se contenter de condamnations de principe ? Ne doit-elle pas revoir sa politique de visas et accentuer sa pression diplomatique sur le régime des Mollahs ?
Autant de questions soulevées avec force par le geste de Marjane Satrapi. Son refus de la Légion d’honneur est plus qu’un coup d’éclat : c’est un appel à la France pour qu’elle soit à la hauteur de son idéal universaliste et qu’elle apporte un soutien concret à ceux qui se battent pour la liberté en Iran et ailleurs. Un message que les autorités françaises ne peuvent ignorer.