Une ancienne communiste anticapitaliste et pacifiste prorusse qui séduit aussi les conservateurs sur l’immigration : le cocktail explosif de Sahra Wagenknecht fait trembler l’échiquier politique allemand. Son tout jeune parti, l’Alliance Sahra Wagenknecht (BSW), créé il y a un an à peine, pourrait faire une entrée fracassante au Bundestag lors des législatives du 23 février. Retour sur le parcours d’une figure qui bouscule les lignes.
Racines rouges et ligne dure sur l’immigration
Fidèle à ses convictions, cette femme de 55 ans au chignon emblématique a tracé son sillon. Entrée au Parti communiste peu avant la chute du Mur en 1989, elle regrettait encore récemment de ne pas avoir vécu toute sa vie en RDA. Mais elle assume aussi des positions proches de la droite radicale sur les questions migratoires, promettant de stopper « l’immigration incontrôlée ».
Un mélange des genres qui séduit : pour sa première participation à des scrutins régionaux fin 2023, le BSW a récolté entre 12% et 16% des voix dans l’ex-RDA, sur un programme alliant hausses des salaires et des retraites, renforcement de la sécurité, cessez-le-feu sans condition en Ukraine et reprise du commerce gazier avec la Russie.
De Die Linke au BSW, l’irrésistible ascension
Longtemps figure de proue de Die Linke, le parti d’extrême-gauche dont elle démissionne fin 2023, Sahra Wagenknecht a su rebondir avec un projet sur-mesure. Son Alliance, symbolisée par la couleur mauve, attire au-delà de sa base historique, séduisant aussi bien un entrepreneur millionnaire que des artistes et sportifs.
Certes, le BSW peine encore à s’implanter localement, ne comptant que 1100 adhérents. Mais sa cheffe charismatique, oratrice redoutable rodée aux talk-shows, croit en son étoile. Et les sondages lui donnent raison, créditant son mouvement de 5% d’intentions de vote, le seuil fatidique pour entrer au Parlement.
Faiseur de roi dans les régions
Le BSW a déjà démontré sa capacité à chambouler la donne dans plusieurs Länder de l’Est. Refusant de s’allier à l’extrême-droite, les autres formations n’ont eu d’autre choix que de composer avec lui pour bâtir des coalitions. Un jeu d’équilibriste vu les divergences sur l’Ukraine, Mme Wagenknecht s’opposant aux livraisons d’armes.
On sent une vraie lassitude des électeurs pour les partis traditionnels, analyste un politologue. Le discours anti-establishment de Sahra Wagenknecht, son profil atypique, répondent à une aspiration au changement, surtout dans l’ex-RDA.
L’épouvantail des élites, l’espoir des déclassés
Avec sa rhétorique anti-capitaliste et son rejet du militarisme occidental, Sahra Wagenknecht s’est forgé une réputation de trublion auprès des élites. Mais dans les régions désindustrialisées de l’Est, son discours fait mouche auprès des laissés-pour-compte.
Ceux qui ont le sentiment d’avoir tout perdu avec la réunification voient en elle un dernier rempart contre un système qui les broie. Sa trajectoire personnelle, de la fille d’immigré élevée en RDA à l’éminence politique, force le respect.
Une bombe à retardement pour le système ?
À l’approche des législatives, une question brûle les lèvres : jusqu’où ira le phénomène Wagenknecht ? Si les sondages se confirment, son jeune parti sera en position de force pour négocier son soutien.
Les plus pessimistes redoutent un scénario à l’italienne, où une coalition hétéroclite paralysait le pays. Les plus bienveillants veulent croire que l’arrivée d’un nouvel acteur obligera les partis traditionnels à se réinventer.
Une certitude : avec Sahra Wagenknecht, la politique allemande n’a pas fini de se réinventer. Comme l’écrivait Hölderlin, « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Aux électeurs, désormais, de trancher et d’écrire l’avenir.