C’est un coup de tonnerre dans le monde feutré de la lutte antidopage. En suspendant leur contribution financière à l’Agence mondiale antidopage (AMA) pour 2024, les Etats-Unis viennent de relancer les hostilités avec l’instance basée à Montréal. Une décision lourde de conséquences qui pourrait fragiliser la coopération internationale contre le dopage et exacerber les tensions géopolitiques autour du sport.
Scandale chinois et accusations américaines
Pour justifier ce coup de force, les autorités américaines, via leur agence antidopage (USADA), invoquent la nécessité de « protéger les droits des sportifs ». Elles reprochent à l’AMA de ne pas avoir diligenté un audit indépendant après le scandale des 23 nageurs chinois contrôlés positifs en 2021 à une substance interdite mais blanchis. Une affaire révélée par des médias en 2024 et aussitôt instrumentalisée.
Travis Tygart, le patron de l’USADA déjà très critique sur la gestion du dopage russe, accuse depuis l’AMA d’avoir « permis à la Chine de glisser des cas positifs sous le tapis ». Des allégations fermement démenties par l’agence mondiale qui assure avoir agi de manière « autonome, indépendante et professionnelle ».
Réactions du mouvement sportif
Face à cette nouvelle crise, le mouvement sportif international affiche sa préoccupation. L’an dernier, le Comité International Olympique et les associations de fédérations sportives avaient vivement critiqué l’ouverture par la justice américaine d’une enquête sur la gestion par l’AMA du dossier chinois. Une initiative perçue comme une tentative d’ingérence s’appuyant sur une loi extraterritoriale controversée, le « Rodchenkov Act ».
Pouvez-vous imaginer la réaction américaine si les forces de sécurité chinoises enquêtaient sur les athlètes américains ?
Michael Payne, ancien directeur marketing du CIO
Pour beaucoup d’observateurs, cette offensive américaine, loin de renforcer la lutte antidopage, risque surtout de fragiliser l’AMA et le système mondial basé sur des règles harmonisées. Le spectre d’une « instrumentalisation politique croissante du sport » inquiète.
Le paradoxe américain
Le coup de pression de Washington s’accompagne d’une autre menace : le retrait de Salt Lake City pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2034. Un moyen de chantage dont le CIO ne veut pas, rappelant que le respect de l’autorité de l’AMA est une condition sine qua non pour accueillir les JO. Ce bras de fer interroge aussi sur le double standard américain en matière d’antidopage.
Car si les Etats-Unis sont le premier contributeur de l’AMA et un ardent défenseur de la lutte antidopage sur la scène internationale, leurs ligues professionnelles (NBA, NHL, NFL, MLB) et leur système sportif universitaire échappent toujours au Code mondial. Une situation souvent dénoncée par le reste du mouvement sportif.
Vers une gouvernance de l’antidopage à réinventer ?
Au-delà du duel américano-chinois, cette crise pose la question de la gouvernance mondiale de l’antidopage. Créée en 1999 sur un modèle de partenariat entre le mouvement sportif et les gouvernements, l’AMA doit sans cesse naviguer entre des intérêts divergents. Et sa dépendance aux financements étatiques, notamment des grandes puissances sportives, est pointée du doigt.
Pour gagner en indépendance et en efficacité, certains plaident pour une réforme de l’agence, avec davantage de représentants indépendants dans ses instances et un financement pérenne, à l’abri des pressions politiques. Une refondation de la lutte antidopage mondiale qui demandera un large consensus. Mais aussi une volonté partagée de placer l’éthique et l’intégrité du sport au-dessus des enjeux de pouvoir.
Car in fine, c’est bien la crédibilité du sport et des valeurs qu’il est censé incarner qui est en jeu. Dans un contexte où les affaires de dopage ne cessent de se multiplier et où la confiance du public s’érode, il y a urgence à agir. Pour redonner du sens au rêve olympique et à l’idéal du sport propre. Un défi planétaire qui engage l’avenir.