Un tribunal de la capitale malienne Bamako vient de prononcer une peine de prison à l’encontre d’Issa Kaou N’Djim, figure de l’opposition, pour avoir exprimé publiquement des doutes sur la crédibilité d’un supposé coup d’État déjoué au Burkina Faso voisin. Cette condamnation soulève des questions préoccupantes quant à la liberté d’expression dans une région déjà en proie à l’instabilité politique.
Deux ans de prison pour des propos jugés offensants
Lors d’une émission diffusée sur une chaîne de télévision locale, Issa Kaou N’Djim avait remis en question la véracité d’une prétendue tentative de putsch déjouée par les autorités burkinabées. Ces déclarations lui ont valu d’être poursuivi pour « offense commise publiquement envers un chef d’État étranger » et « injures commises par le biais d’un système d’information ».
Au terme de son procès devant le Pôle national de lutte contre la cybercriminalité, l’opposant a écopé lundi d’une peine de deux ans de prison, dont un an ferme, assortie d’une amende d’un million de francs CFA (environ 1 500 euros). Il purgeait déjà une détention provisoire depuis la mi-novembre.
Répression des voix critiques au Mali et au Burkina
Le Mali et le Burkina Faso, tous deux dirigés par des juntes militaires issues de coups d’État successifs entre 2020 et 2022, ont multiplié les mesures répressives à l’encontre de la presse ces derniers mois. Plusieurs médias, notamment étrangers, ont vu leur diffusion suspendue tandis que des journalistes et autres voix dissidentes ont été réduits au silence ou emprisonnés.
En guise de représailles pour les propos d’Issa Kaou N’Djim, les autorités maliennes avaient déjà fermé en novembre la chaîne Joliba TV News sur laquelle il s’était exprimé. Une suspension de six mois a finalement été prononcée à l’encontre de la télévision mi-décembre.
Un ancien dirigeant du CNT devenu critique
Avant de prendre ses distances avec la junte malienne, Issa Kaou N’Djim avait occupé le poste de vice-président du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif mis en place par les militaires au pouvoir. Il s’est ensuite prononcé en faveur d’un retour rapide des civils aux commandes, s’attirant les foudres du régime.
En décembre 2021, il avait déjà été condamné à six mois de prison avec sursis pour « atteinte au crédit de l’État », après avoir tenu des propos jugés subversifs sur les réseaux sociaux. Révoqué du CNT, il a également été empêché à plusieurs reprises de quitter le territoire malien.
Le spectre de la déstabilisation plane
De l’autre côté de la frontière, le pouvoir burkinabé affirme régulièrement déjouer des tentatives de déstabilisation, conduisant à l’interpellation de nombreux officiers et civils. Le dernier complot en date remonterait à fin septembre, selon les autorités de Ouagadougou.
Cette atmosphère de suspicion permanente contribue à renforcer la paranoïa des juntes au pouvoir et à durcir la répression contre toute forme de contestation. Dans ce contexte, la condamnation d’Issa Kaou N’Djim apparaît comme un nouvel avertissement adressé aux détracteurs des régimes militaires sahéliens.
Vers une confédération des juntes sahéliennes ?
En dépit des critiques internationales, le Mali, le Burkina Faso et le Niger voisin, lui aussi dirigé par des militaires putschistes, ont annoncé en février la création d’une confédération baptisée « Alliance des États du Sahel » (AES). Cette union politique et militaire a notamment pour objectif d’intensifier la lutte contre les groupes jihadistes qui essaiment dans la région.
Mais de nombreux observateurs y voient surtout une tentative des pouvoirs en place de faire front commun face aux pressions extérieures en faveur d’un retour à l’ordre constitutionnel. Une façon pour ces régimes militaires de consolider leur emprise sur des pays en crise, quitte à sacrifier au passage les libertés fondamentales.