Au cœur de la Bretagne, un drame silencieux se joue pour les habitants de Treffiagat, petite commune du Finistère Sud. Ici, comme un crève-cœur partagé, des maisons en bord de mer sont vouées à disparaître, englouties par une mer qui ne cesse de gagner du terrain. Face à la montée inexorable des eaux et au risque grandissant de submersion marine, les autorités locales se résignent à une solution aussi radicale que douloureuse : raser purement et simplement les habitations les plus menacées.
Quand la mer reprend ses droits
Fanch Renevot, propriétaire depuis 2015 d’un pavillon en bord de plage, a vécu ce cauchemar éveillé. À peine six mois après l’achat de cette résidence secondaire où il comptait couler des jours heureux pour sa retraite, son bien a été classé en zone rouge, synonyme d’un « très fort aléa » de submersion marine. « On n’a pas vraiment le choix, la mer prend le dessus », confie-t-il, fataliste, en regardant son mobilier s’entasser dans un camion de déménagement.
Car ici, entre dunes et pins, le charme de ce petit coin de paradis n’est qu’une façade. Construites dans les années 70 et 80 en zone basse, les maisons ne sont séparées de l’océan que par un fragile cordon dunaire qui s’amincit année après année. Régulièrement remblayé, il peine pourtant à résister à la pression des vagues lors des tempêtes. En novembre dernier, pas moins d’une vingtaine d’habitations ont dû être évacuées en prévision du passage de la tempête Ciaran.
Des solutions coûteuses et inefficaces
Face à cette situation, la Communauté de Communes du Pays Bigouden Sud (CCPBS) semble désarmée. Son président, Stéphane Le Doaré, dresse un constat sans appel : « Tous les systèmes d’endiguement qu’on a pu mettre en œuvre depuis 15-20 ans, à savoir la digue, de l’enrochement, des pieux, ne sont pas efficaces ». Chaque année, plus de 100 000 euros sont engloutis pour renforcer la dune avec des milliers de m3 de sable. « C’est un gouffre sans fond, un pansement sur une jambe de bois, car la mer est plus forte que nous », déplore l’élu.
Le rachat, ultime recours
Devant l’impossibilité de garantir durablement la sécurité des riverains, la CCPBS a donc pris une décision radicale : racheter les maisons les plus exposées pour les détruire. À terme, ce sont 15 habitations qui sont concernées. Les deux premières ont été actées début décembre. Ensuite, le hameau sera rendu à la nature, tandis qu’une digue protègera les maisons restantes.
Mais pour les habitants, c’est un véritable crève-cœur. « Ça nous gâche notre retraite », se désole un couple de septuagénaires. Une dame, qui souhaite rester anonyme, évoque un « crève-cœur pour tout le monde ». Certains, comme Denise, 80 ans, n’envisagent même pas de partir. « Je partirai avec la mer », clame-t-elle, elle qui vit ici depuis l’âge de 4 ans.
Quand la mer sera venue jusqu’au bout, je serai bien obligée de monter au grenier et qu’on vienne me chercher.
Denise, habitante de longue date
Des indemnisations jugées « correctes »
Pour faciliter la pilule, la CCPBS propose des conditions de rachat avantageuses, au prix du marché, grâce aux aides de l’État. Des estimations jugées « correctes » par Fanch Renevot, qui évoque des montants allant de 280 000 à 687 000 euros pour les sept premières maisons. Mais pour beaucoup, l’aspect financier ne suffit pas à apaiser la douleur de quitter ce lieu si cher à leur cœur.
Je comprends le traumatisme psychologique pour certaines familles qui habitent là depuis les années 70 et y ont élevé leurs enfants.
Stéphane Le Doaré, président de la CCPBS
L’élu veut néanmoins croire que les habitants finiront par entendre raison. « C’est juste le temps de l’acceptabilité », estime-t-il. Un temps nécessaire pour se faire à l’idée que dans ce combat inégal entre l’homme et la nature, c’est bien souvent cette dernière qui finit par l’emporter. Une réalité cruelle, mais inéluctable, à laquelle de plus en plus de communes littorales devront se résigner face aux effets du changement climatique.
Car le drame de Treffiagat est loin d’être un cas isolé. Partout en France, le réchauffement climatique et la montée des eaux menacent des milliers d’habitations en bord de mer. Selon une étude récente du ministère de la Transition écologique, près de 50 000 logements pourraient être concernés d’ici la fin du siècle. Un chiffre qui pourrait même atteindre 100 000 dans le scénario du pire.
Face à ce défi immense, les pouvoirs publics tentent de s’organiser. En 2012, une stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte a été adoptée, préconisant notamment la relocalisation des activités et des biens lorsque cela est nécessaire. Mais sa mise en œuvre reste complexe et se heurte souvent à l’incompréhension, voire à l’hostilité des populations concernées.
À Treffiagat, comme ailleurs, il faudra pourtant bien se résoudre à tourner la page d’une époque révolue, où l’on pouvait encore croire que l’homme pouvait dompter les éléments. Une page qui se tourne dans la douleur, mais qui ouvre aussi, peut-être, sur un nouveau chapitre. Celui d’un nécessaire repli stratégique, d’une cohabitation plus humble et plus respectueuse avec une nature qui, tôt ou tard, finit toujours par reprendre ses droits.