Le débat fait rage au Sénégal suite aux propos choc d’un ministre ayant qualifié les tirailleurs sénégalais, ces soldats coloniaux mythiques, de « traitres ». Des mots lourds de sens qui ont profondément choqué, alors même que le pays commémorait il y a peu le drame de Thiaroye où des dizaines de tirailleurs avaient été tués par l’armée française en 1944. Le gouvernement monte immédiatement au créneau pour recadrer fermement le ministre et réaffirmer le statut de « héros nationaux » des tirailleurs.
Un ministre dérape et suscite l’indignation
C’est une petite phrase qui fait l’effet d’une bombe. Invité sur le plateau d’une télévision locale le 21 décembre dernier, Cheikh Oumar Diagne, ministre en charge de l’Administration et de l’Équipement à la présidence de la République, assène :
Les tirailleurs sont des traitres qui se sont battus contre leurs frères, dans leur pays, pour de l’argent.
Cheikh Oumar Diagne, ministre sénégalais
Des mots crus pour évoquer le rôle de ces soldats africains enrôlés dans l’armée coloniale française et envoyés combattre sur les principaux théâtres d’opération du XXe siècle, de la Première Guerre mondiale aux guerres de décolonisation en passant par la Seconde Guerre mondiale.
Mais pour le ministre Diagne, ceux qui célèbrent les tirailleurs ne savent pas ce qu’ils sont réellement : des hommes qui auraient pris les armes contre les leurs. Un constat expéditif qui a suscité immédiatement une vague d’indignation au Sénégal.
Le gouvernement rappelle à l’ordre son ministre
Face au tollé, le gouvernement sort de son silence et fustige sans ambages les propos chocs de Cheikh Oumar Diagne. C’est par la voix de son porte-parole ministériel Moustapha Njekk Sarré que l’exécutif exprime son « total déphasage » avec les mots du ministre sur les tirailleurs.
Sur les ondes d’une radio privée, il martèle :
Cette sortie est très malheureuse. Je considère que ces tirailleurs sont des héros de la Nation. M. Diagne s’est lourdement trompé. Ces tirailleurs ne sauraient être considérés comme des traitres.
Moustapha Njekk Sarré, porte-parole du gouvernement sénégalais
Pour rappeler l’importance des tirailleurs dans l’histoire et l’identité sénégalaises, le ministre évoque la cérémonie d’hommage national organisée par le président Macky Sall lui-même début décembre dans l’ancienne caserne de Thiaroye. Un lieu tragiquement célèbre où des dizaines de tirailleurs fraîchement démobilisés avaient été massacrés par l’armée coloniale le 1er décembre 1944 alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs soldes.
Le difficile nuance du rôle historique des tirailleurs
Interrogé dans les médias, l’historien Mamadou Fall s’efforce d’apporter de la nuance dans le débat houleux sur le rôle des tirailleurs. S’il concède qu’il « y a eu des moments où la France leur a fait faire une sale besogne », comme lors des guerres de décolonisation, il estime toutefois que les décrire en bloc comme des traîtres serait profondément injuste :
Si on fait une moyenne générale et qu’on décrit la souffrance et l’héroïsme dont ils ont fait montre, ce serait injuste de leur donner ce qualificatif de traitres.
Mamadou Fall, historien
Reste que les propos chocs du ministre ont fait mouche, mettant en lumière les parts d’ombre qui entourent encore l’histoire de ces soldats africains au service de l’Empire colonial français. Sur les réseaux sociaux et dans les médias sénégalais, de nombreuses voix réclament désormais la démission de Cheikh Oumar Diagne.
Une chose est sûre : le débat sur le rôle et l’héritage des tirailleurs est loin d’être clos au Sénégal. Et il faudra sans doute encore du temps pour que toute la lumière soit faite sur ces hommes qui auront marqué l’histoire du pays, dans toute sa complexité.