Un scandale de corruption secoue actuellement le gouvernement bosnien. Nenad Nesic, l’actuel ministre de la Sécurité, a été arrêté jeudi dans le cadre d’une enquête pour des faits remontant à l’époque où il dirigeait une entreprise publique chargée de la gestion des routes. Cette affaire risque d’aggraver les tensions déjà vives entre les entités du pays.
Ministre et collaborateurs soupçonnés de malversations
Selon le parquet national de Bosnie, Nenad Nesic, 46 ans, et six autres suspects arrêtés sont soupçonnés « d’association de malfaiteurs, de blanchiment d’argent, d’abus de pouvoir et de réception de pots-de-vin ». Les faits remonteraient à la période 2016-2020, lorsque M. Nesic était à la tête de la société publique « Putevi Republike Srpske », en charge de la construction et de l’entretien du réseau routier de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie.
L’actuel directeur de l’entreprise, Milan Dakic, figure également parmi les personnes interpellées. Les autres suspects avaient quant à eux des contrats avec la société à l’époque des faits présumés. Cette opération anti-corruption, baptisée « Tunnel 2 », est menée conjointement par le parquet national et le ministère de l’Intérieur de la Republika Srpska.
Un proche de Milorad Dodik, leader serbe controversé
Nenad Nesic n’est pas un personnage politique anodin en Bosnie. Président de l’Union démocratique populaire (DNS), il est surtout connu pour être un proche collaborateur de Milorad Dodik, l’homme fort de la Republika Srpska. Ce dernier a immédiatement réagi à l’arrestation de son allié, dénonçant « une affaire complètement inacceptable » montée selon lui par le parquet dans le but de « chasser les cadres de la RS afin de la déstabiliser ».
Il faut dire que Milorad Dodik est lui-même dans le collimateur de la justice. Depuis le début de l’année, il est jugé pour non-respect des décisions du Haut-représentant international chargé de veiller au respect des accords de paix. Proche du Kremlin, Dodik est par ailleurs sous le coup de sanctions américaines en raison de ses activités séparatistes et de soupçons de corruption le visant.
Tensions exacerbées avec le gouvernement central
L’arrestation de Nenad Nesic intervient dans un contexte déjà tendu entre l’entité serbe et les institutions centrales de Bosnie, en raison justement du procès en cours contre Milorad Dodik. En réaction, le Parlement de la Republika Srpska a adopté cette semaine une série de mesures appelant au boycott par les représentants serbes du processus décisionnel lié au rapprochement de la Bosnie avec l’Union européenne.
Une initiative vivement dénoncée par les États-Unis et l’UE, qui y voient « une menace sérieuse à l’ordre constitutionnel du pays ». Près de 30 ans après la fin de la guerre, la Bosnie reste profondément divisée entre une entité serbe et une fédération croato-musulmane, dotées chacune de larges pouvoirs, avec un gouvernement central aux compétences limitées. Un terreau fertile pour les tensions communautaires et la corruption, comme le montre l’affaire Nesic.
Un ministre au patrimoine opaque
Avant même son arrestation, Nenad Nesic avait fait l’objet de critiques dans les médias pour son manque de transparence sur son patrimoine. Propriétaire avec son frère et son père de plusieurs entreprises, il aurait omis de déclarer une partie de ses biens, notamment des propriétés immobilières en Serbie, avant sa nomination au poste de ministre en janvier dernier.
Parmi les autres suspects interpellés figure Mladen Lucic, membre du même parti que Nesic et propriétaire d’une société ayant eu des liens avec « Putevi RS » du temps où le ministre en était le directeur. Les vastes perquisitions menées à Sarajevo, Banja Luka et Bijeljina dans le cadre de l’opération « Tunnel 2 » pourraient mettre au jour l’ampleur de ce qui s’apparente à un vaste système de corruption et de favoritisme autour de l’entreprise publique.
Quel avenir politique pour Nenad Nesic ?
Si les soupçons de corruption qui pèsent sur lui venaient à se confirmer, l’avenir politique de Nenad Nesic, à peine nommé ministre en janvier, s’annoncerait bien sombre. D’autant que son mentor Milorad Dodik, malgré son influence en Republika Srpska, est lui-même fragilisé par ses démêlés judiciaires et les sanctions internationales.
Cette affaire met une nouvelle fois en lumière les dysfonctionnements de la Bosnie post-Dayton, minée par les divisions ethniques, une corruption endémique et un système institutionnel complexe et peu efficace. Reste à savoir si la justice parviendra cette fois à aller au bout des investigations et à sanctionner les coupables, dans un pays où l’impunité des élites politiques reste trop souvent la norme.
L’arrestation de Nenad Nesic constitue sans nul doute un coup dur pour le clan Dodik et risque d’aggraver encore les relations déjà tendues entre Banja Luka et Sarajevo. Mais elle représente aussi peut-être une opportunité de faire le ménage dans les pratiques douteuses qui gangrènent la vie publique bosnienne depuis trop longtemps. Les citoyens, lassés des scandales à répétition, attendent désormais des actes forts en faveur de la transparence et de l’État de droit.