C’est dans un climat tendu que s’est ouvert mardi le procès de Dominique Yandocka, député d’opposition centrafricain emprisonné depuis plus d’un an malgré son immunité parlementaire. Accusé d' »atteinte à la sûreté de l’État », ce franco-centrafricain, figure du parti d’opposition Initiative pour la transformation par l’action (ITA), risque les travaux forcés à vie dans une affaire qui soulève de sérieux doutes sur l’équité de la procédure et l’indépendance de la justice dans le pays.
Un procès entaché d’irrégularités ?
Dès l’ouverture des débats devant la cour d’appel de Bangui, les avocats de la défense ont dénoncé une procédure inéquitable. Au cœur des controverses, l’absence des enregistrements audio censés démontrer l’implication de M. Yandocka dans une présumée « tentative de coup d’État ». Des preuves obtenues de manière « frauduleuse » selon Me Arlette Sombo Dimbelet, qui déplore également le refus réitéré d’une confrontation entre l’accusé et ses détracteurs, pourtant réclamée « plusieurs fois ».
Autre point d’achoppement majeur, la question de l’immunité parlementaire dont bénéficie le député. Pour Me Albert Panda, « aucun député ne peut être poursuivi, détenu ou jugé en matière correctionnelle ou criminelle » en vertu de ce statut protecteur. Un argument balayé par le président de la Cour, Thierry Joachim Pessiré, qui a « ordonné l’ouverture des débats au fond » malgré les vives protestations de la défense.
Un député affaibli qui dénonce des poursuites politiques
Dominique Yandocka, visiblement affaibli par des problèmes cardiaques selon ses conseils et contraint de se déplacer en béquilles, n’a pas manqué de dénoncer des poursuites qu’il estime motivées par des considérations purement politiques. Un sentiment partagé par de nombreux observateurs, qui voient dans ce procès un nouvel exemple de la répression exercée par le régime du président Faustin Archange Touadéra à l’encontre de toute voix critique.
Le sort de Dominique Yandocka fait en effet écho à celui d’une autre figure de l’opposition centrafricaine, Crépin Mboli Goumba, condamné en mars dernier à un an de prison avec sursis pour diffamation et outrage à magistrats. Des poursuites symptomatiques d’un durcissement du pouvoir envers la société civile, les médias et les partis d’opposition, comme le soulignait en avril l’ONG Human Rights Watch (HRW).
L’indépendance de la justice en question
Au-delà du cas individuel de Dominique Yandocka, c’est bien l’indépendance de la justice centrafricaine qui est en jeu dans ce procès à haute portée symbolique. Une justice qui, aux yeux de nombreux défenseurs des droits humains, apparaît de plus en plus comme un instrument au service du pouvoir en place pour faire taire les voix dissidentes.
Un constat alarmant partagé par HRW, qui exhortait en avril dernier les autorités à « garantir l’indépendance de la justice » et à « s’assurer que les responsables qui attaquent les détracteurs du gouvernement soient amenés à rendre des comptes ». Un appel qui, à la lumière du procès en cours, semble pour l’heure être resté lettre morte.
Vers un troisième mandat présidentiel controversé ?
En toile de fond de cette affaire, les ambitions présidentielles de Faustin Archange Touadéra, qui a fait modifier la Constitution en juillet 2023 par un référendum boycotté par l’opposition pour s’autoriser à briguer un troisième mandat en 2025. Une perspective qui suscite de vives inquiétudes quant à l’avenir démocratique d’un pays encore profondément marqué par des années de guerre civile.
Élu en 2016 en pleine tourmente et réélu en 2020 dans des conditions contestées par l’opposition, Touadéra a pu reprendre le contrôle de vastes pans du territoire grâce à l’appui controversé de Moscou et de mercenaires russes de Wagner. Un soutien qui, s’il a permis de repousser les groupes rebelles, semble s’accompagner d’une dérive autoritaire de plus en plus marquée.
Dans ce contexte, le procès de Dominique Yandocka apparaît comme un nouveau test pour la démocratie centrafricaine. Suspendu mardi après-midi, il doit reprendre jeudi. D’ici là, les regards resteront tournés vers le palais de justice de Bangui, où se joue bien plus que le sort d’un député d’opposition. C’est l’état de droit et le respect des libertés fondamentales dans un pays encore fragile qui sont en question.