Plus de six ans après la tragique attaque au chlore sur la ville syrienne de Douma, qui a fait 43 morts le 7 avril 2018, la vérité commence enfin à émerger. Dans des entretiens exclusifs accordés récemment, deux médecins et un infirmier ayant soigné les victimes ce jour-là ont révélé les pressions qu’ils ont subies de la part du régime syrien pour livrer de faux témoignages et nier l’utilisation d’armes chimiques.
Des soignants convoqués et menacés
Quelques jours après les bombardements meurtriers du 7 avril 2018, les services de sécurité de Damas ont convoqué les 11 soignants apparaissant dans une vidéo tournée à l’hôpital de campagne de Douma, les montrant en train de soigner les blessés. Parmi eux, le chirurgien orthopédique Mohammad Al-Hanach et le médecin urgentiste Hassan Ouyoun.
Lors de son interrogatoire mené par un officier, un pistolet posé sur la table et pointé vers lui, le Dr Ouyoun a immédiatement compris ce qui était attendu de lui. Comme ses collègues, il a été soumis à de fortes pressions, parfois même des menaces à peine voilées, pour nier l’attaque chimique.
Ils m’ont dit qu’ils savaient où trouver ma famille.
Mohammad Al-Hanach, chirurgien orthopédique
Contraints de fournir de faux témoignages
Suite à leur interrogatoire musclé, les soignants ont été contraints de fournir de faux témoignages aux enquêteurs internationaux de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Devant les caméras du régime, ils ont dû répéter un récit imposé niant le recours aux armes chimiques.
L’infirmier Mouwafaq Nisrine se souvient avoir été interrogé après être apparu dans une vidéo en train de secourir une fillette ayant inhalé un gaz toxique. On lui a dit qu’il n’y avait pas eu d’attaque chimique et qu’il fallait mettre fin à ces affirmations. Mais comme la plupart de ses collègues, sa famille vivant à Douma, il n’était pas en position de ne pas coopérer.
Une attaque confirmée malgré les pressions
Malgré les tentatives d’intimidation, l’enquête de l’OIAC a conclu en janvier 2023 que l’armée syrienne avait bien mené l’attaque au chlore, pointant la responsabilité du régime de Bachar al-Assad. Les faux témoignages extorqués n’ont donc pas réussi à entraver la manifestation de la vérité.
Même si les coupables n’ont pas encore été punis, le Dr Hanach se dit soulagé que la manipulation n’ait pas affecté les conclusions de l’OIAC. Mais pour lui, la joie sera incomplète tant que justice ne sera pas rendue.
Ces révélations courageuses, impossibles il y a encore quelques mois avant la chute de Bachar al-Assad, mettent en lumière les méthodes du régime syrien pour dissimuler ses crimes. Elles rappellent aussi le lourd tribut payé par le peuple syrien et les soignants, héros malgré eux d’un conflit impitoyable.