Le choc et l’émotion sont immenses en Allemagne après l’attaque meurtrière survenue vendredi dernier sur le marché de Noël de Magdebourg, faisant 5 morts et plus de 200 blessés. Mais ce drame soulève aujourd’hui de troublantes questions sur l’action des autorités allemandes en amont. En effet, selon une source proche du gouvernement saoudien s’exprimant sous couvert d’anonymat, l’Arabie Saoudite avait averti l’Allemagne à plusieurs reprises de la dangerosité potentielle de l’auteur présumé de l’attaque, un de ses ressortissants.
Taleb Jawad al-Abdulmohsen, psychiatre saoudien de 50 ans, est accusé d’avoir foncé avec sa voiture sur la foule du marché de Noël, semant l’horreur et le chaos en ce soir de fête. Arrivé en Allemagne en 2006, il était connu pour ses prises de position radicales sur les réseaux sociaux, critiquant la politique allemande vis-à-vis des réfugiés. Un profil inquiétant qui n’avait pas échappé à son pays d’origine.
Il y a eu une demande d’extradition de la part de l’Arabie Saoudite concernant Taleb Jawad al-Abdulmohsen. Riyad avait averti Berlin à plusieurs reprises que le suspect « pourrait être dangereux »
– Une source proche du gouvernement saoudien
Mais ces avertissements semblent être restés lettre morte du côté allemand. Ce défaut d’anticipation interroge aujourd’hui sur la responsabilité des autorités dans ce drame qui aurait peut-être pu être évité. De nombreuses voix s’élèvent en Allemagne pour réclamer des comptes au gouvernement.
Au-delà de la tragédie humaine, cette attaque et ses possibles ratés en amont risquent de peser lourd dans le contexte politique tendu outre-Rhin. A deux mois des élections législatives anticipées, l’opposition ne manquera pas de s’engouffrer dans la brèche et d’en faire un argument de campagne majeur.
Un suspect au profil inquiétant
Psychiatre de formation, Taleb Jawad al-Abdulmohsen était arrivé en Allemagne en 2006 pour y exercer son métier. Mais loin de l’image du médecin dévoué, il s’était fait remarquer ces dernières années par des prises de position de plus en plus radicales et complotistes sur les réseaux sociaux.
Une radicalisation progressive qui n’avait pas échappé aux services de renseignement saoudiens. Selon le magazine Der Spiegel, ceux-ci avaient adressé il y a un an une mise en garde à leurs homologues allemands du BND au sujet d’al-Abdulmohsen, pointant notamment un tweet menaçant où il évoquait un « prix à payer » pour l’Allemagne.
En cause : son mécontentement face au traitement selon lui injuste des réfugiés saoudiens fuyant le rigorisme religieux, comparé à l’accueil de migrants musulmans potentiellement radicaux. Une rhétorique typique des milieux islamophobes et d’extrême-droite dans lesquels le suspect semblait s’être enfermé.
Une extradition refusée par l’Allemagne
Face à ces signaux alarmants, l’Arabie Saoudite avait donc demandé officiellement l’extradition de son ressortissant, jugeant qu’il représentait une menace. Mais cette requête est restée sans suite côté allemand, pour des raisons qui restent à éclaircir.
Un raté lourd de conséquences au vu du drame survenu vendredi. De quoi nourrir les interrogations sur le niveau de vigilance et d’anticipation des services allemands. Plusieurs voix dans l’opposition réclament une enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur d’éventuelles défaillances.
Les autorités allemandes sur la sellette
Pourquoi la demande saoudienne n’a-t-elle pas été prise au sérieux ? Les services de renseignement ont-ils suffisamment surveillé le suspect au vu de sa radicalisation ? Berlin aurait-il pu empêcher ce drame ? Autant de questions qui mettent aujourd’hui les autorités allemandes sur la sellette.
Au-delà du drame humain, c’est la crédibilité et la réactivité de l’appareil sécuritaire allemand qui sont en jeu. A l’approche d’échéances électorales cruciales, le gouvernement d’Olaf Scholz n’a pas droit à l’erreur.
Avec une opinion publique sous le choc et avide de réponses, l’exécutif va devoir fournir des explications rapides et convaincantes. Tout raté avéré constituerait un boulevard pour les attaques de l’opposition, dont les premières salves fusent déjà.
Un camouflet diplomatique pour Berlin
Sur le plan international, ces révélations constituent un sérieux camouflet pour la diplomatie allemande. En snobant les mises en garde saoudiennes, Berlin envoie un message négatif à un partenaire clé au Moyen-Orient.
Riyad ne manquera pas d’y voir un manque de considération, voire de confiance. De quoi possiblement refroidir les relations entre les deux pays, alors même que l’Allemagne a grandement besoin d’alliés dans la région.
Le prince héritier Mohammed ben Salmane, homme fort du royaume, risque de se montrer moins conciliant à l’avenir sur certains dossiers face à un partenaire qui n’a pas su entendre ses alertes. Un côté obscur de l’affaire qui pourrait coûter cher à la diplomatie allemande.
Une affaire lourde de conséquences politiques
A deux mois des élections législatives anticipées du 23 février, ces zones d’ombre tombent au plus mal pour la coalition d’Olaf Scholz. L’opposition, emmenée par la CDU de Friedrich Merz, compte bien capitaliser sur ce dossier.
Les conservateurs plaident depuis longtemps pour une politique sécuritaire plus ferme, notamment sur l’immigration et la lutte anti-terroriste. Ils ne manqueront pas de pointer du doigt tout laxisme gouvernemental dans le suivi du suspect saoudien.
La gestion du contre-coup diplomatique avec Riyad sera aussi scrutée de près. Tout faux pas serait immédiatement exploité pour dénoncer l’amateurisme d’un exécutif déjà fragilisé par ses dissensions internes.
Une introspection nécessaire pour l’Allemagne
Au-delà des conséquences politiques immédiates, cette affaire invite l’Allemagne à une nécessaire introspection sur sa politique de lutte contre la radicalisation et le terrorisme. Les signaux d’alerte ont-ils été suffisamment pris en compte et traités dans le cas d’al-Abdulmohsen ?
Plus largement, le dispositif de détection et de suivi des individus potentiellement dangereux est-il à la hauteur des menaces ? Un vaste chantier qui nécessitera du courage politique pour pointer les failles et y remédier.
Car si des leçons ne sont pas tirées rapidement, le risque est grand de voir se répéter ce type de drame. Un luxe que l’Allemagne, déjà ébranlée par de multiples crises, ne peut pas se permettre. En jeu : la sécurité de ses citoyens et la cohésion déjà fragilisée de sa société.