Dans un nouveau rebondissement de la crise qui oppose la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) aux régimes militaires du Sahel, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont fermement rejeté le délai de rétraction de six mois qui leur avait été accordé par l’organisation régionale. Cette décision intervient suite à l’annonce en janvier dernier de leur volonté de quitter définitivement la CEDEAO.
Une « tentative de déstabilisation » selon l’Alliance des États du Sahel
Dans un communiqué commun, les trois pays qui forment l’Alliance des États du Sahel (AES) ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme une « énième tentative » visant à permettre à des acteurs étrangers, dont la France, de poursuivre des « actions de déstabilisation » contre leur alliance. Ils affirment que cette décision « unilatérale » prise par la CEDEAO ne saurait les lier.
Lors d’un sommet à Abuja il y a une semaine, la CEDEAO avait en effet annoncé une « période de transition » de six mois après la date officielle de départ des trois pays fixée à fin janvier 2025, afin de maintenir la porte ouverte à un éventuel retour. Mais pour les chefs d’État de l’AES, il ne s’agit là que de manœuvres orchestrées par une « poignée de chefs d’État » imposant « des agendas étrangers » au sein de l’organisation.
Des relations de plus en plus tendues
Cette passe d’armes verbales illustre la dégradation continue des relations entre la CEDEAO et les juntes militaires arrivées au pouvoir ces dernières années au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Ces dernières reprochent à l’organisation son alignement présumé sur les positions occidentales, et en particulier françaises.
Après avoir poussé au départ des forces françaises de leurs territoires, les trois pays concernés ont intensifié leur coopération sécuritaire et politique pour faire face aux groupes jihadistes qui sévissent dans la région. Ils se sont aussi rapprochés d’autres puissances comme la Russie, suscitant l’inquiétude et les critiques des chancelleries occidentales.
Des médiations en cours
Malgré la fermeté affichée par l’AES, des efforts diplomatiques sont en cours pour tenter d’éviter une rupture définitive. Les présidents du Sénégal et du Togo ont été mandatés par leurs pairs pour une mission de bons offices.
Mais le chemin semble encore long tant les positions paraissent inconciliables à ce stade. Les responsables des pays de l’AES accusent régulièrement la France et ses alliés de vouloir entraver leur « dynamique émancipatrice ». De son côté, la CEDEAO craint qu’un départ de trois de ses membres ne crée un précédent et n’affaiblisse durablement l’organisation.
Quelles perspectives ?
Au-delà des passes d’armes, c’est l’avenir de l’architecture sécuritaire et de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest qui est en jeu. Un éclatement de la CEDEAO représenterait un coup dur pour une zone déjà fragilisée par l’instabilité politique et la menace jihadiste.
Beaucoup d’observateurs s’interrogent aussi sur la viabilité à long terme de l’Alliance des États du Sahel. Si la lutte contre le terrorisme constitue pour l’heure un puissant ciment, des divergences pourraient apparaître entre les juntes sur la durée, notamment sur les transitions vers un retour des civils au pouvoir.
La communauté internationale, et en particulier les partenaires occidentaux et africains, suivent donc avec attention l’évolution de ce bras de fer qui pourrait façonner durablement le visage géopolitique de la région. Entre volonté d’émancipation et risques de déstabilisation, l’Afrique de l’Ouest semble plus que jamais à la croisée des chemins.