Mayotte sous les eaux, la Nouvelle-Calédonie en proie aux flammes des émeutes… Ces dernières semaines, l’actualité des Outre-mer français n’a pas été des plus réjouissantes. Mais au-delà de ces drames ponctuels, c’est un mal bien plus profond qui ronge ces territoires ultramarins : celui de l’oubli et de la négligence de la part de la métropole. Un mal ancien, qui ne se rappelle à son bon souvenir que lorsque la situation devient critique.
Mayotte, l’île aux multiples défis
Prenons l’exemple de Mayotte, ce 101ème département français situé dans l’Océan Indien. Ravagée début avril par le cyclone Chido, l’île peine aujourd’hui à se relever. Maisons détruites, réseaux d’eau et d’électricité hors-service, routes coupées… Les dégâts sont considérables. Face à cette situation, Emmanuel Macron s’est rendu sur place pour promettre l’aide de l’État. Mais cette visite, aussi symbolique soit-elle, suffira-t-elle à régler les multiples défis auxquels Mayotte est confrontée depuis des années?
Car la réalité est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Avec un taux de chômage avoisinant les 35%, une immigration clandestine massive en provenance des Comores voisines et une insécurité galopante, Mayotte cumule les difficultés. Des difficultés qui ne datent pas d’hier, mais que les différents gouvernements qui se sont succédé ont toujours eu bien du mal à prendre à bras le corps.
L’oubliée de la République
Il faut dire que Mayotte a longtemps été la grande oubliée de la République. Devenue département français en 2011 seulement, l’île accuse un retard de développement considérable par rapport au reste du territoire national. Infrastructures vétustes, services publics défaillants, tissu économique atrophié… Les chantiers sont nombreux et les moyens déployés souvent insuffisants pour y faire face.
On a l’impression que la métropole ne se souvient de nous que lorsqu’un drame survient. Le reste du temps, on a le sentiment d’être abandonnés à notre sort.
Un habitant de Mayotte
Un sentiment d’abandon partagé par de nombreux Mahorais, qui ont parfois l’impression de n’être que des citoyens de seconde zone. Une impression renforcée par la comparaison avec d’autres territoires d’Outre-mer, comme la Réunion voisine, bien mieux lotie en termes d’infrastructures et de développement.
La Nouvelle-Calédonie, l’autre « crise » ultramarine
Mais Mayotte n’est pas la seule à faire face à des défis de taille. À près de 20 000 km de là, en Nouvelle-Calédonie, c’est une tout autre « crise » qui secoue le territoire. Depuis plusieurs semaines, l’archipel est en proie à des violences et des émeutes sans précédent, sur fond de tensions politiques et ethniques. Un référendum sur l’indépendance, des blocages, des affrontements entre communautés… La situation est explosive et semble bien loin d’être résolue.
Là encore, difficile de ne pas y voir le résultat de décennies de négligence et de non-dits. Malgré les accords de Nouméa, qui devaient conduire le territoire vers un destin commun, force est de constater que les fractures sont toujours bien présentes. Entre une communauté kanak qui réclame son émancipation et une population loyaliste attachée à la France, le fossé semble se creuser chaque jour davantage.
La Nouvelle-Calédonie est comme une cocotte-minute sur le point d’exploser. Il est urgent d’agir avant qu’il ne soit trop tard.
Un expert des questions calédoniennes
Face à cette situation, le gouvernement semble bien en peine de trouver des solutions. Entre fermeté et dialogue, la ligne est difficile à tenir. Et le risque est grand de voir la situation dégénérer davantage, comme ce fut le cas lors des « événements » des années 80.
Le défi de la prise en compte des spécificités ultramarines
Mais au-delà de Mayotte et de la Nouvelle-Calédonie, c’est tout l’Outre-mer français qui semble traverser une zone de turbulences. Entre crises sociales, tensions identitaires et aspirations à davantage d’autonomie, les défis sont nombreux. Et ils mettent en lumière la difficulté de la France à prendre en compte les spécificités de ces territoires lointains, si différents les uns des autres.
Car c’est bien là tout le paradoxe : alors même qu’ils représentent près de 20% du territoire national, les Outre-mer restent souvent les grands oubliés des politiques publiques. Une réalité qui s’explique en partie par leur éloignement géographique, mais aussi et surtout par une certaine forme de désintérêt, voire de mépris, de la part d’une métropole qui peine à comprendre leurs réalités.
On a parfois l’impression que les Outre-mer ne font pas vraiment partie de la France. Sauf quand il s’agit de montrer notre grandeur sur la carte du monde…
Un observateur de la vie politique
Résultat : des politiques souvent inadaptées, déconnectées des réalités du terrain. Et des populations qui ont le sentiment d’être incomprises, voire méprisées, par une métropole qui ne s’intéresse à elles que lorsque la situation devient critique. Un sentiment qui alimente les frustrations et les rancœurs, et qui peut parfois conduire à des explosions de violence comme celles que l’on a pu observer ces dernières semaines.
Sortir de la crise par le dialogue et la prise en compte des spécificités
Alors comment sortir de cette situation ? Comment renouer le dialogue entre la métropole et ses territoires ultramarins ? La première étape est sans doute de reconnaître les spécificités de chacun de ces territoires et de prendre en compte leurs aspirations propres. Car s’il est une chose que les derniers événements ont montré, c’est bien la diversité des situations et des attentes.
À Mayotte, c’est la question du développement économique et social qui est au cœur des préoccupations. Avec un PIB par habitant près de 10 fois inférieur à celui de la métropole, l’île a un besoin urgent d’investissements massifs dans les infrastructures, l’éducation, la santé… Autant de domaines où les retards accumulés sont considérables et où l’action de l’État est cruellement insuffisante.
En Nouvelle-Calédonie, c’est la question institutionnelle qui cristallise les tensions. Après trois référendums en trois ans, dont le dernier a été largement boycotté par les indépendantistes, l’heure est à la reprise du dialogue entre toutes les parties prenantes. Un dialogue qui devra nécessairement passer par une clarification du statut de l’archipel et de ses relations avec la France, dans le respect des aspirations de chacun.
Mais au-delà de ces deux exemples, c’est une véritable refondation de la politique ultramarine de la France qui semble nécessaire. Une politique qui ne peut plus se contenter de réponses ponctuelles et de replâtrages en urgence, mais qui doit s’inscrire dans une vision à long terme, fondée sur le respect des identités et la prise en compte des besoins réels des populations.
Il est temps de changer de logiciel et de construire une véritable relation de partenariat avec les Outre-mer, fondée sur l’écoute, le respect mutuel et la co-construction des politiques publiques.
Un député ultramarin
Un chantier immense, qui nécessitera du temps, de l’énergie et une volonté politique sans faille. Mais un chantier indispensable si l’on veut éviter que les Outre-mer ne sombrent dans une crise durable, dont les conséquences pourraient être dramatiques pour la cohésion nationale. Car plus que jamais, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie et tous les autres territoires ultramarins ont besoin de sentir qu’ils sont pleinement partie intégrante de la République française. Non pas des confettis épars sur la carte du monde, mais des terres de projets et d’avenir, riches de leur diversité et de leurs potentiels.
Des terres qui ne demandent qu’à être écoutées, comprises et accompagnées sur le chemin d’un développement durable et partagé. À la France de relever le défi et de montrer qu’elle sait prendre soin de ses Outre-mer comme elle prend soin de sa métropole. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, qu’elle pourra espérer guérir de son mal de mer et retrouver son rang de grande puissance maritime, unie dans sa diversité.