L’Espagne se trouve actuellement au cœur d’un intense bras de fer politique et social autour de la semaine des « 37,5 heures ». Après un an de négociations ardues, le gouvernement espagnol vient de signer un accord historique avec les principaux syndicats du pays pour réduire la durée légale du travail hebdomadaire de 40 à 37,5 heures. Mais cette réforme phare, portée par la ministre du Travail Yolanda Diaz, se heurte à une opposition farouche du patronat et suscite des inquiétudes chez certains partenaires de l’exécutif.
Un accord historique mais partiel avec les syndicats
Vendredi dernier, au terme d’intenses tractations, la ministre du Travail Yolanda Diaz, figure du parti d’extrême gauche Sumar, a réussi à arracher un accord avec les deux principaux syndicats espagnols, Commissions ouvrières (CCOO) et l’UGT, sur son projet de réduction du temps de travail. L’objectif affiché : permettre aux salariés de « vivre mieux » et d’être « moins fatigués », en « partageant les gains de productivité » avec les entreprises. Cette mesure phare du programme de l’alliance entre le PSOE et Sumar devrait concerner près de 12 millions de salariés et être mise en œuvre progressivement d’ici 2025.
Mais cet accord ne fait pas l’unanimité. Malgré un an de discussions, le patronat a claqué la porte des négociations mi-novembre, estimant ne pas être suffisamment entendu. Les organisations patronales s’inquiètent de l’impact d’une telle réforme sur la compétitivité des entreprises espagnoles et l’emploi. Elles réclament plus de souplesse et de différenciation selon les secteurs d’activité.
Le casse-tête de la majorité parlementaire
Au-delà du front social, le gouvernement doit maintenant relever le défi de faire adopter son projet par le Parlement. Or, l’équation s’annonce compliquée pour l’exécutif minoritaire de Pedro Sanchez. Plusieurs de ses alliés, comme le Parti nationaliste basque (PNV) ou les indépendantistes catalans de Junts, réputés proches des milieux économiques, ont déjà exprimé des réserves sur cette réforme.
Cela va être compliqué au vu de la situation de faiblesse dans laquelle se trouve actuellement l’exécutif.
Paloma Roman, politologue à l’Université Complutense de Madrid
Le gouvernement se retrouve pris en tenaille entre ses engagements de campagne et les préoccupations de ses partenaires. Le ministre de l’Economie lui-même plaide pour un projet plus « équilibré » et « adapté » aux contraintes des entreprises. Mais la ministre du Travail, poussée dans le dos par les syndicats, refuse de transiger sur l’essentiel et assure que « ceux qui s’opposent à la réforme devront rendre des comptes à leurs électeurs ».
Une réforme à haut risque politique
Alors que deux Espagnols sur trois seraient favorables à une réduction du temps de travail selon les sondages, ce bras de fer risque de tourner au casse-tête politique pour le gouvernement. Déjà affaibli par l’usure du pouvoir et la pression de l’inflation, ce dernier joue gros sur ce dossier emblématique à moins de deux ans des prochaines élections.
S’il parvient à faire adopter sa réforme, il pourra s’en prévaloir comme d’une victoire sociale et politique majeure. Mais s’il échoue ou doit reculer, il donnera des gages à une opposition de droite remontée et prête à en découdre. Dans les deux cas, le feuilleton des 37,5 heures ne fait sans doute que commencer et promet encore bien des rebondissements dans les mois à venir.