Jeudi dernier, les abords du Parlement européen à Strasbourg ont été le théâtre d’une manifestation hors du commun. Dans un concert de klaxons, une vingtaine de tracteurs conduits par des agriculteurs français et allemands se sont rassemblés pour exprimer leur opposition à l’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les pays sud-américains du Mercosur.
Sur les bannières accrochées aux véhicules, on pouvait lire des slogans percutants tels que « N’empoisonnez pas nos enfants avec vos produits importés ! » ou encore « Traité UE-Mercosur, mort de l’agriculture ». Ces messages alarmants reflètent l’inquiétude grandissante des agriculteurs européens face à cet accord commercial controversé.
Une concurrence jugée déloyale
Au cœur des revendications, la crainte d’une concurrence inéquitable. Paul Fritsch, président de la Coordination rurale du Bas-Rhin, dénonce des normes divergentes entre l’Europe et les pays du Mercosur :
Les normes sociales, surtout, le salaire, les charges sociales, mais aussi les normes sanitaires, les produits phytosanitaires et les normes environnementales.
– Paul Fritsch, Coordination rurale du Bas-Rhin
Selon lui, cette disparité exposerait les agriculteurs européens à une concurrence déloyale face à des produits importés moins chers car soumis à des réglementations moins strictes. Un constat partagé par ses homologues allemands venus grossir les rangs de la manifestation.
L’appel à la souveraineté alimentaire
Au-delà de la crainte d’un dumping social et environnemental, les agriculteurs européens brandissent l’étendard de la souveraineté alimentaire. Ils réclament que la nourriture consommée localement soit produite sur place, remettant en cause la logique du libre-échange à tout va.
Cette manifestation s’inscrit dans une série de mobilisations initiées ces derniers mois par la Coordination rurale, avec notamment des distributions de pommes visant à sensibiliser les consommateurs aux enjeux de la production locale.
Un accord jugé « inacceptable » par la France
Si les négociations en vue de l’accord UE-Mercosur ont abouti début décembre, sa ratification s’annonce semée d’embûches. La France, par la voix de son gouvernement, juge cet accord « inacceptable » en l’état.
Paris exige que les agriculteurs sud-américains se plient aux mêmes normes environnementales et sanitaires que leurs homologues européens, sous peine de créer une concurrence déloyale. Une position ferme qui laisse entrevoir de vifs débats dans les mois à venir.
Un accord aux enjeux multiples
Pour l’UE, déjà premier partenaire commercial du Mercosur, cet accord ouvrirait de nouvelles perspectives d’exportation pour ses voitures, machines et produits pharmaceutiques. En contrepartie, les pays sud-américains concernés (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) pourraient écouler plus facilement leur viande, sucre, riz, soja et autres produits agricoles vers le marché européen.
Mais ce qui est vu comme une opportunité pour certains secteurs économiques suscite l’inquiétude, voire la colère, des agriculteurs européens. Ils craignent de faire les frais d’une libéralisation accrue des échanges, au détriment de leur survie économique et du modèle agricole européen.
Vers une confrontation entre deux visions
Cette mobilisation met en lumière la confrontation entre deux visions. D’un côté, les tenants d’un libéralisme économique mondialisé, voyant dans cet accord une opportunité de dynamiser les échanges et la croissance. De l’autre, les défenseurs d’une agriculture ancrée dans les territoires, garante de la qualité alimentaire et de la préservation de l’environnement.
La manifestation de Strasbourg n’est sans doute qu’un prélude aux intenses tractations politiques et débats de société qui s’annoncent autour de la ratification de l’accord UE-Mercosur. Un dossier explosif qui cristallise les tensions entre impératifs économiques, attentes sociétales et urgence écologique. L’issue de ce bras de fer entre libre-échange et souveraineté alimentaire est plus que jamais incertaine, mais une chose est sûre : elle ne laissera personne indifférent.