C’est un verdict qui restera dans les annales judiciaires. Ce jeudi, la cour criminelle de Vaucluse rendra sa décision très attendue dans le procès hors norme des viols en série de Mazan. Pas moins de 51 accusés, âgés de 27 à 74 ans, sont dans l’attente de connaître leur sort. Vont-ils tous écoper de lourdes peines de prison, comme l’a requis l’accusation? Ou les juges suivront-ils les plaidoiries de la défense, qui a demandé de nombreux acquittements ?
Cette affaire choc, partie délibérer lundi après trois mois et demi d’audience, suscite une immense attention en France comme à l’international. Car au-delà du nombre impressionnant d’accusés et de l’horreur des faits reprochés, ce sont les questions de fond soulevées par ce procès qui en font un cas d’école : celles du consentement, de la soumission chimique et plus largement des violences sexistes et sexuelles.
Un verdict emblématique sur le consentement et les violences sexuelles
Selon une source proche du dossier, le principal accusé, Dominique Pelicot, 72 ans, qui a reconnu avoir drogué son ex-épouse Gisèle aux anxiolytiques pendant dix ans pour abuser d’elle et la livrer à des dizaines d’inconnus recrutés sur internet, devrait écoper de la peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle. Mais c’est surtout le sort de ses 50 coaccusés qui cristallise les attentes.
Le parquet a requis de 10 à 18 ans de prison contre 49 d’entre eux, poursuivis pour viols aggravés, et 4 ans contre le dernier, accusé d’attouchements. Des réquisitions sévères, au-delà de la moyenne des condamnations pour viol (11 ans en 2022). Le ministère public espère que la décision enverra « un message d’espoir aux victimes de violences sexuelles ».
Mais les avocats de la défense ont plaidé une trentaine d’acquittements, arguant que leurs clients avaient été « manipulés » par Dominique Pelicot et n’avaient pas eu « l’intention » de violer son épouse, donc pas commis de crime au sens de la loi. Reste à savoir si les juges les suivront sur ce terrain glissant du consentement.
L’onde de choc d’un procès inédit
Au-delà de l’ampleur hors normes de ce procès (51 accusés, 3 mois et demi d’audience), c’est l’atrocité des faits qui a provoqué une véritable onde de choc, en France et bien au-delà. Durant des années, Gisèle Pelicot a été droguée et violée par son mari, qui la «prêtait» aussi à des inconnus contactés via internet.
Cette affaire aura permis d’incarner le fléau des violences sexuelles, à travers la figure de Gisèle Pelicot, qui de victime anonyme s’est muée en icône féministe exhortant les femmes « à ne plus se taire ».
D’après une militante féministe
L’affaire a remué les consciences bien au-delà de l’Hexagone. Pas moins de 86 médias étrangers ont été accrédités pour suivre ce procès retentissant. Beaucoup y voient un moment clé dans la lutte contre les violences faites aux femmes.
« L’heure de vérité » pour des accusés sous tension
A quelques minutes de l’énoncé du verdict, la tension est palpable dans le palais de justice d’Avignon, sous haute protection policière. Car si les condamnations sont à la hauteur des réquisitions, ce sont 32 des accusés ayant comparu libres qui pourraient partir directement en prison.
Beaucoup sont arrivés avec un sac contenant quelques vêtements, prêts à cette éventualité. L’un d’eux, en pleurs, a longuement étreint sa compagne avant d’entrer dans la salle d’audience. Une scène poignante qui illustre les vies en suspens de cette « heure de vérité ».
« Un verdict pour l’avenir »
De l’avis de nombreux observateurs, la décision qui sera rendue ce jeudi fera date. Elle est très attendue par les associations féministes et les victimes de violences sexuelles, qui espèrent qu’elle marquera un tournant dans la prise en compte de ces crimes encore trop souvent minimisés ou passés sous silence.
Le journal Libération espère que les juges rendront « un verdict pour l’avenir« , qui permette de rompre avec « la banalité du viol ».
Un vœu partagé par les trois enfants de Dominique et Gisèle Pelicot, parties civiles au procès. Eux qui ont eu le courage de dénoncer l’innommable et de briser l’omerta familiale, attendent de ce verdict qu’il soit à la hauteur des souffrances endurées par leur mère. Et qu’il contribue à faire changer le regard de la société sur les victimes de viols.