La chute soudaine du régime de Bachar al-Assad après 13 ans de guerre civile a plongé de nombreux Syriens dans l’incertitude, y compris ceux exilés à l’étranger. C’est notamment le cas de la communauté syrienne de Moscou, où beaucoup s’inquiètent d’un avenir sombre pour leur pays d’origine. De la crainte d’une « catastrophe » pour les minorités à l’appréhension d’un scénario à l’afghane, leurs témoignages reflètent les doutes qui planent sur la Syrie post-Assad.
La fin d’une époque pour les minorités syriennes ?
Alors que beaucoup célèbrent en Syrie, Georgina Deiratani, une chrétienne syrienne installée à Moscou depuis 20 ans, est en état de choc. Pour elle, la déroute express du régime Assad en seulement 11 jours face à une rébellion dominée par d’anciens djihadistes marque « la fin de la Syrie » qu’elle a connue. D’origine syrienne par son père, cette quadragénaire garde le souvenir d’un pays où « juifs, chrétiens, musulmans » coexistaient harmonieusement. Elle craint que ces jours soient désormais révolus.
Ali, un ingénieur alaouite de 33 ans originaire de Lattaquié, l’ancien bastion du clan Assad, partage ses inquiétudes. Pour ce doctorant installé en Russie, le fait que ceux qui se trouvent maintenant aux commandes en Syrie « figurent sur la liste des terroristes » représente « un grand danger pour les minorités ». Il évoque des témoignages de proches faisant état de persécutions antialaouites, avec notamment le meurtre de deux étudiants en raison de leur appartenance à cette branche minoritaire de l’islam chiite.
Hayat Tahrir al-Sham, une menace pour la diversité syrienne ?
La coalition rebelle qui a renversé Bachar al-Assad est dominée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), un groupe islamiste issu d’Al-Qaïda considéré comme « terroriste » par de nombreux pays. Si HTS promet de protéger les droits de toutes les communautés, Georgina n’est pas convaincue :
Un terroriste reste un terroriste, quelle que soit son organisation.
La crainte d’un épisode à l’afghane, où les minorités ont souffert après la prise de pouvoir des talibans, hante les esprits. Des signes inquiétants sont rapportés, comme l’annulation d’un office religieux dans une église chrétienne, une première depuis des années selon Georgina.
Entre compréhension et amertume envers le régime déchu
Si la brutalité et la corruption du régime Assad sont reconnues, y compris parmi les Syriens de Russie, son effondrement soudain suscite aussi de l’amertume. Ali « comprend » la colère contre Bachar al-Assad, dont les soldats « vivaient dans la misère », mais déplore la destruction des symboles familiaux, comme les statues et le tombeau de son père Hafez. Georgina, si elle qualifie l’ex-président d' »animal sauvage », estime que les Syriens avaient appris à « vivre avec sa loi ».
Quel rôle pour la Russie dans la Syrie de demain ?
Face aux incertitudes qui planent sur l’avenir de leur pays d’origine, nombre de Syriens de Russie espèrent que Moscou, allié de longue date de Damas, pèsera pour protéger les minorités. Mais l’avenir des bases militaires russes à Hmeimim et Tartous est en suspens, alors que les nouveaux maîtres de Damas sont ceux-là mêmes que la Russie a combattus. Comme le résume Ali :
La Russie ne peut intervenir sans qu’on lui demande officiellement de l’aide et il n’y a personne de sérieux au pouvoir en Syrie en ce moment pour le faire.
Entre nostalgie d’une Syrie disparue et angoisse d’une dérive à l’afghane, les témoignages des Syriens de Moscou illustrent les défis immenses qui attendent leur pays d’origine. Alors que tous les regards sont tournés vers Damas, leur voix fait écho aux inquiétudes de millions de Syriens, en exil ou non, quant à l’avenir de leur nation meurtrie après la chute de Bachar al-Assad.