Alors que la chute du régime de Bachar al-Assad il y a quelques semaines a suscité l’espoir d’un possible retour au pays pour les millions de réfugiés syriens, l’ONU vient doucher cet optimisme. Amy Pope, directrice générale de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), a en effet « déconseillé » mardi des retours massifs de réfugiés tant que la situation en Syrie n’est pas stabilisée.
Lors d’une visite au Liban, pays voisin de la Syrie qui accueille plus d’un million de réfugiés, Mme Pope a déclaré : « Les gens ont le droit de rentrer chez eux, mais nous déconseillons des retours à grande échelle ». La raison ? Les infrastructures syriennes, durement touchées par les années de conflit, « ne pourraient pas supporter un tel afflux » selon la responsable onusienne.
Un million de retours possibles, mais à quel prix ?
Pourtant, l’ONU elle-même estime qu’un million de Syriens pourraient faire le choix de revenir entre janvier et juin 2025, suite au renversement du régime honni de Bachar al-Assad le 8 décembre dernier par une coalition de groupes rebelles menés par les islamistes. Un chiffre considérable, mais qui ne doit pas occulter les immenses défis d’un tel retour dans les conditions actuelles.
« Sans investissements en Syrie, renvoyer des gens ne fera que déstabiliser davantage le pays et créera probablement des pressions incitant à une nouvelle vague de migration » prévient Amy Pope. Car la Syrie d’après-Assad reste un pays à reconstruire, où tout est à refaire, des habitations aux infrastructures de base comme l’eau, l’électricité, les transports ou la santé.
Des dizaines de milliers de nouveaux départs
Pire, loin de s’améliorer, la situation pousse de nombreux Syriens à fuir leur pays. Selon l’OIM, « des dizaines de milliers » de personnes ont ainsi quitté la Syrie depuis la chute d’Assad mi-décembre. Parmi eux, beaucoup de membres des minorités religieuses, inquiets pour leur avenir dans un pays à majorité sunnite.
C’est notamment le cas de « membres de la communauté musulmane chiite, qui auraient fui non pas parce qu’ils sont réellement menacés, mais parce qu’ils s’inquiètent de potentielles menaces » indique Amy Pope. Des responsables chrétiens à Damas font également état de fortes préoccupations au sein de leurs communautés, même si aucun exode massif n’a été constaté pour l’instant.
Le nouveau gouvernement syrien va devoir rassurer
Les nouvelles autorités syriennes, qui se veulent plus démocratiques et inclusives, auront fort à faire pour apaiser ces craintes et empêcher une nouvelle hémorragie démographique. Car la fuite des minorités, en particulier chrétiennes, serait catastrophique pour le pays, privé de ses forces vives les plus éduquées et qualifiées.
La communauté internationale veut « s’assurer que les voix les plus radicales au sein de cette coalition ne déstabilisent pas un gouvernement qui se veut plus ouvert, démocratique et inclusif »
Amy Pope, directrice générale de l’OIM
Un défi de taille pour la nouvelle coalition au pouvoir, composée de groupes aux idéologies parfois divergentes. Elle devra montrer rapidement sa capacité à établir un véritable État de droit et à protéger toutes les composantes de la société syrienne, comme elle s’y est engagée. Faute de quoi, la perspective d’un retour des réfugiés restera un mirage.
Une fenêtre d’opportunité à saisir
En attendant une normalisation durable de la situation, l’urgence est d’agir pour améliorer les conditions de vie des réfugiés syriens dans les pays voisins. « L’aide internationale doit être maintenue aux réfugiés et aux communautés hôtes dans les pays voisins de la Syrie, où la très grande majorité des réfugiés resteront dans un avenir proche » plaide un rapport de l’ONU.
Mais à terme, seule une Syrie pacifiée et reconstruite pourra permettre le retour tant espéré de ses exilés. Un processus qui prendra du temps et nécessitera un accompagnement de long terme de la communauté internationale. Une fenêtre d’opportunité unique existe aujourd’hui avec la chute du régime Assad. Aux nouvelles autorités syriennes de la saisir, en prouvant leur bonne foi démocratique. Et aux pays donateurs de ne pas relâcher leurs efforts pour soutenir le peuple syrien, chez lui comme à l’étranger.