Au cœur des Alpes françaises, un débat houleux fait rage autour de la population de loups et de son impact sur l’élevage. Les huit départements alpins viennent de lancer un pavé dans la mare en réclamant un nouveau comptage des loups en vue d’en abattre davantage. Une demande explosive qui ravive les tensions entre éleveurs et défenseurs de l’environnement.
1013 loups : un chiffre contesté par les départements alpins
Tout est parti du dernier recensement de la population de loups en France, qui a établi leur nombre à 1013 individus. Un chiffre jugé très en-deçà de la réalité par les départements alpins. Lors d’une réunion du Groupe national Loup ce lundi, leurs représentants ont affirmé que ce comptage ne reflétait pas « la réalité de la présence lupine et de l’aggravation progressive de ses effets ».
Les élus locaux demandent donc une révision en profondeur des méthodes de comptage. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Dans la foulée, ils exigent aussi « un rehaussement significatif » du nombre maximum de loups pouvant être abattus chaque année, aujourd’hui fixé à 19% de la population lupine, soit 192 individus pour 2025.
Des tensions ravivées entre éleveurs et écologistes
Ces revendications ravivent les profondes divergences entre les éleveurs, excédés par les attaques de loups sur leurs troupeaux, et les associations environnementales qui militent pour la préservation de l’espèce. D’un côté, les organisations agricoles jugent le plafond d’abattage bien trop bas et réclament des mesures plus radicales pour protéger le pastoralisme. De l’autre, les défenseurs du loup dénoncent une volonté d’éradiquer un animal protégé et essentiel aux écosystèmes alpins.
On a fait savoir que la nouvelle méthode de comptage avait encore besoin d’être affinée et ne pouvait surtout pas se suffire à elle-même.
Christian Provent, référent loup au syndicat agricole Coordination rurale
Le loup pris entre protection européenne et « régulation »
La controverse est d’autant plus vive que le loup vient de voir son statut de protection assoupli au niveau européen. La convention de Berne l’a en effet fait passer d’espèce « strictement protégée » à « protégée », ouvrant la voie à davantage de « régulation ». Un changement de paradigme mal vécu par les organisations écologistes, qui craignent un retour en arrière fatal au prédateur.
Dans ce contexte, la demande de recomptage des départements alpins apparaît comme une tentative de faire encore reculer la protection du loup. De leur côté, les services de l’État assurent que la méthode de comptage actuelle est fiable à 95%. Pas sûr que cela suffise à apaiser un conflit qui semble parti pour durer.
Des mesures pour protéger aussi les troupeaux de bovins
Signe de l’ampleur prise par la problématique du loup, la réunion de lundi a aussi été l’occasion de discuter d’un élargissement des autorisations d’abattage aux éleveurs de bovins. Jusqu’ici réservées aux troupeaux de brebis, considérés comme les plus vulnérables, ces dérogations pourraient bientôt être accordées pour les vaches et veaux. La préfecture précise cependant que « le tir n’est qu’un moyen de protection parmi d’autres ».
Une approche contestée par certains éleveurs, comme Annabelle Wurbel, de la Confédération paysanne : « Le tir est un moyen de protection mais ne peut pas être la seule réponse faite aux éleveurs bovins, surtout vu qu’on a un plafond de tir qui n’augmente pas, ça va coincer ».
Vers une cohabitation impossible ?
Le cœur du problème réside dans la difficulté à concilier le retour du loup, espèce native mais longtemps pourchassée, avec le maintien du pastoralisme tel qu’il est pratiqué depuis des siècles. Malgré les différentes mesures de protection des troupeaux (chiens, parcs électrifiés, gardiennage renforcé…), les attaques ne faiblissent pas et plongent le monde de l’élevage dans une profonde crise.
Mais pour les écologistes, la solution ne peut passer par l’élimination du prédateur. Ils prônent une évolution des pratiques pastorales pour permettre une meilleure cohabitation. Un vœu pieux pour beaucoup d’éleveurs, qui voient leur avenir de plus en plus compromis par ce qu’ils vivent comme une prédation insoutenable.
Face à cette équation qui semble impossible à résoudre, le loup cristallise toutes les tensions. Et chaque décision concernant sa gestion, qu’il s’agisse du comptage ou des tirs, prend des allures de bras de fer politique. Un dialogue de sourds qui ne fait que s’envenimer, loin de la quiétude des alpages où le canidé s’est réinstallé en majesté, pour le meilleur et pour le pire.