Elles reviennent sur le devant de la scène et bousculent le paysage médiatique : les newsletters, ces « mini-médias » qu’artistes, créateurs de contenu et journalistes s’approprient pour toucher leur public loin du tumulte des réseaux sociaux. Mais qu’est-ce qui explique ce succès fulgurant ?
La newsletter, un format qui renaît de ses cendres
Bien avant l’ère des réseaux sociaux, les newsletters permettaient déjà de recevoir de l’information directement dans sa boîte mail. Tombées en désuétude avec l’essor du web 2.0, elles opèrent aujourd’hui un retour en grâce spectaculaire.
De nombreux créateurs de contenu, journalistes et même écrivains célèbres comme Salman Rushdie ou Patti Smith s’emparent désormais de ce format pour diffuser leurs écrits et créations. Moyennant un abonnement mensuel, leurs lecteurs accèdent à du contenu exclusif et inédit, comme les chapitres du prochain roman de Rushdie « The Seventh Wave ».
Substack, le Netflix des newsletters
Derrière nombre de ces newsletters payantes, on retrouve un même acteur : Substack. Cette start-up californienne se positionne comme le « Netflix des newsletters », en permettant aux auteurs de monétiser facilement leur contenu auprès de leur audience. Avec déjà 35 millions d’abonnements au compteur dont 4 millions payants, le modèle séduit.
Depuis 2017 et la création par le spécialiste de la Chine Bill Bishop de « Sinocism », première newsletter payante sur Substack, les success stories ne manquent pas. Selon des sources proches de l’entreprise, celle-ci aurait rapporté plus de 100 000 dollars dès le premier jour à son fondateur.
Un modèle qui essaime en France
Si les États-Unis ont un temps d’avance, le phénomène gagne aussi l’Hexagone. Des médias spécialisés comme La Lettre ou des créateurs comme l’autrice féministe Rose Lamy se lancent dans l’aventure des newsletters payantes.
Mais les newsletters gratuites ne sont pas en reste, à l’image de celles récemment créées par les émissions Clique ou Quotidien. Des influenceurs comme le youtubeur Hugo Décrypte et le journaliste engagé Hugo Clément misent aussi sur ce format, via la plateforme française Kessel qui héberge déjà 3000 newsletters dont 150 payantes.
Le succès des newsletters, signe d’une quête de sens
Pour le cofondateur de Kessel Adrien Labastire, l’engouement pour les newsletters est révélateur d’une tendance de fond : le besoin de « créer des mini-médias en lien direct avec son public » et de s’affranchir de la dépendance aux plateformes comme Instagram ou Twitter.
« Si (Mark) Zuckerberg décide un jour de changer l’algorithme d’Instagram, vous êtes coincé. L’email, ça ne bougera jamais. »
–Adrien Labastire, cofondateur de Kessel
Au-delà d’une volonté d’indépendance, le nouvel âge d’or des newsletters répond aussi à un désir de « filtrage de l’information » à l’heure de la surinformation, selon l’experte Refka Payssan. Un besoin que tentent de combler des newsletters comme « Time to Sign off », qui promet un condensé quotidien de l’actualité en deux minutes chrono.
Le chaos d’un réseau comme Twitter depuis son rachat par Elon Musk a pu aussi accélérer cette quête d’espaces plus apaisés et propices au partage. « Pour les créateurs de contenu qui aiment le temps long et être lus par des gens qui ne vous insultent pas, c’est quand même agréable », confie Adrien Labastire.
Un paysage médiatique en pleine mutation
Loin d’être un épiphénomène, la renaissance des newsletters s’inscrit donc dans une évolution plus large de notre rapport à l’information. Face à la cacophonie des réseaux sociaux et au flux incessant d’actualités anxiogènes, elles offrent une bulle de respiration bienvenue.
Pour les créateurs et journalistes, elles constituent une opportunité de tisser une relation plus intime et qualitative avec leur public, loin des diktats du clic et de l’algorithme. Un changement de paradigme prometteur, alors que de nouveaux modèles économiques restent à inventer pour assurer la pérennité de ce « slow média ».
Avec déjà des dizaines de millions d’abonnés dans le monde, les newsletters ont en tout cas de beaux jours devant elles. Elles pourraient bien dessiner les contours d’un nouveau paysage médiatique, où qualité et proximité reprennent leurs droits. Une petite révolution en somme, qui ne demande qu’à s’écrire…