Dans un geste sans précédent, la République Démocratique du Congo (RDC) a décidé de s’attaquer frontalement au géant technologique Apple. Le pays accuse la firme à la pomme d’acheter illégalement, via le Rwanda, des minerais provenant de l’Est de la RDC, une région en proie à l’instabilité et aux violences depuis des décennies. Au cœur du litige : l’implication présumée d’Apple dans un vaste trafic illicite, qui aurait « infligé des souffrances insondables » aux populations et contribué à financer des groupes armés.
Une plainte déposée en France et en Belgique
Pour faire valoir ses droits, la RDC n’a pas hésité à porter le fer devant la justice internationale. Des plaintes ont ainsi été déposées contre des filiales d’Apple en France et en Belgique. Les avocats de la RDC, des ténors du barreau comme Robert Amsterdam ou William Bourdon, dénoncent « l’exportation et la livraison illégale » de minerais congolais, mais aussi les « pratiques commerciales trompeuses » d’Apple pour rassurer les consommateurs sur l’éthique de ses chaînes d’approvisionnement.
La plainte déposée à Paris, dont certains éléments ont été révélés, est particulièrement accablante. Elle vise de nombreuses infractions, allant du recel de crimes de guerre au blanchiment, en passant par l’usage de faux et la tromperie. L’objectif affiché est de « confronter les individus et les entreprises impliqués » dans ce trafic présumé de bout en bout, de l’extraction à la commercialisation.
Un lourd bilan humain et environnemental
Au-delà des aspects juridiques, ce sont les conséquences dramatiques de ce pillage organisé que la RDC entend mettre en lumière. Selon les avocats du pays, ces activités illicites auraient « alimenté un cycle de violence » en finançant des milices et des groupes terroristes. Elles auraient aussi contribué au travail forcé des enfants et à la destruction de l’environnement dans ces régions parmi les plus pauvres de la planète.
L’ampleur et la durée de ces activités ont infligé de la destruction et des souffrances insondables au sein de la population civile.
Déclaration des avocats de la RDC
Apple nie en bloc, le Rwanda aussi
Face à ces accusations graves, Apple avait déjà réagi en avril, lorsque la RDC l’avait mis en demeure sur ce sujet. La multinationale affirme n’avoir trouvé « aucune base raisonnable » pour dire que ses chaînes d’approvisionnement fin 2023 avaient « directement ou indirectement financé ou bénéficié à des groupes armés ». Le Rwanda, par lequel transiteraient les minerais de contrebande selon la RDC, a aussi rejeté des allégations jugées « sans fondement ».
Un conflit larvé qui s’envenime à l’Est
Mais cette passe d’armes juridique et diplomatique intervient dans un contexte explosif. L’Est de la RDC, pourtant riche en minerais précieux, est gangréné depuis les années 90 par les violences de groupes armés qui se disputent le contrôle des ressources naturelles. Les tensions se sont encore aggravées depuis fin 2021 et la résurgence du M23, une rébellion soutenue par le Rwanda selon la RDC et l’ONU. Cette guerre par procuration envenime les relations entre les deux voisins.
Des « minerais du conflit » difficiles à tracer
C’est toute la question des « minerais du conflit » qui se retrouve ainsi sous les projecteurs. Malgré les efforts déployés ces dernières années, avec notamment la loi Dodd-Frank aux États-Unis, pour assainir les chaînes d’approvisionnement en imposant plus de traçabilité et de transparence, force est de constater que le chemin est encore long. Les multinationales restent régulièrement pointées du doigt pour leur manque de vigilance, voire leur complaisance, face à ces trafics qui alimentent la misère et les conflits.
Une « première » aux enjeux considérables
En attaquant frontalement Apple, l’une des entreprises les plus puissantes et les plus riches de la planète, la RDC fait un pari audacieux. Cette « première » action en justice pourrait créer un précédent majeur et inciter d’autres pays ou communautés lésés à suivre la même voie. C’est toute la question de la responsabilité des multinationales dans les violations des droits humains et la destruction de l’environnement qui est posée.
Quelle que soit l’issue de cette bataille judiciaire, elle aura en tout cas le mérite de braquer les projecteurs sur un fléau trop longtemps ignoré. Celui du pillage en règle des ressources de pays parmi les plus pauvres de la planète, avec la complicité, active ou passive, des géants de l’économie mondiale. Un pillage qui laisse des terres exsangues et des populations meurtries. Il est plus que temps que les consciences s’éveillent et que les responsabilités soient établies. C’est tout l’enjeu de ce procès hors norme.