La nomination de François Bayrou au poste de Premier ministre n’a pas manqué de surprendre les observateurs de la vie politique française. Mais au-delà de l’effet de surprise, ce choix pourrait bien annoncer le retour d’un fonctionnement parlementaire oublié, hérité des IIIe et IVe Républiques. C’est en tout cas l’analyse de Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences en droit public.
Un profil taillé pour les coalitions à géométrie variable
Selon le spécialiste, François Bayrou dispose d’atouts indéniables pour manœuvrer dans un parlement morcelé, où aucune majorité absolue ne se dégage. « Là où Michel Barnier pensait que la majorité lui était acquise, Bayrou dispose de plus de cordes à son arc », explique Benjamin Morel. Le Béarnais a en effet la capacité de se tourner à la fois vers la gauche et vers le Rassemblement National, ce qui pourrait favoriser « une majorité élastique ».
Une telle souplesse n’est pas sans rappeler le fonctionnement des IIIe et IVe Républiques, où les alliances se faisaient et se défaisaient au gré des circonstances. À l’époque, les présidents du Conseil devaient en permanence reconstruire leur majorité, la coalition d’hier n’étant pas forcément celle du lendemain. Un exercice dans lequel François Bayrou, homme de compromis et de dialogue, pourrait exceller.
Le pari de la proportionnelle
Autre atout dans la manche du nouveau Premier ministre : son attachement à la réforme du mode de scrutin. Fervent défenseur de la proportionnelle, François Bayrou pourrait utiliser cette promesse pour « desserrer l’étau » sur certains alliés potentiels, notamment à gauche. Une perspective qui pourrait faciliter les négociations et les ralliements.
Mais ce choix comporte aussi des risques, prévient Benjamin Morel. En nommant l’un des leurs à Matignon, Emmanuel Macron s’expose à la défiance d’autres prétendants à l’Élysée comme Édouard Philippe ou Laurent Wauquiez. « Les conseils des ministres risquent de devenir des séances de baisers Lamourette, tandis que le climat parlementaire pourrait prendre des allures florentines », craint le constitutionnaliste.
Gouverner avec « l’arc républicain », un défi de taille
Malgré ces écueils, François Bayrou s’est fixé un objectif ambitieux : gouverner avec les seules forces de « l’arc républicain », en se passant à la fois de la NUPES et du Rassemblement National. Un pari osé qui implique de s’appuyer sur au moins six groupes politiques aux orientations parfois divergentes, notamment sur les questions budgétaires.
« Se mettre d’accord sur un texte budgétaire entre le PS et LR ne sera pas une mince affaire », prévient Benjamin Morel. D’autant que ces formations seront soumises à la pression des extrêmes, Jean-Luc Mélenchon dénonçant toute compromission avec la droite quand Marine Le Pen criera à la trahison des Républicains.
Quand on classe les formations politiques entre majorité et opposition, le critère fondamental est le vote du budget.
– Benjamin Morel
Le spectre du 49.3
Pour éviter la paralysie, le nouveau Premier ministre pourrait être tenté de recourir à l’arme constitutionnelle du 49.3, qui permet l’adoption d’un texte sans vote. Une option à laquelle François Bayrou s’est engagé à renoncer, mais qui pourrait s’avérer incontournable, notamment sur le budget.
« Dire que l’on va se passer du 49.3 sur le budget présuppose que LR et le PS trouveront, ensemble et avec les macronistes, un modus vivendi« , analyse Benjamin Morel. « Les formations politiques jouant ce jeu risquent de se retrouver, dans quelques mois, face à un choix cornélien : sacrifier leurs intérêts ou risquer le pire pour le pays. »
Malgré ces défis, la nomination de François Bayrou à Matignon pourrait ouvrir une nouvelle séquence politique, marquée par le retour d’un parlementarisme à la française. Reste à savoir si le Béarnais saura manœuvrer avec suffisamment d’habileté pour imposer durablement ce changement de paradigme. Les prochaines semaines s’annoncent en tout cas riches en rebondissements.