Julien Dray, figure historique de la gauche française, a connu un parcours pour le moins atypique. De son engagement militant au sein de SOS Racisme dans les années 80 à sa récente reconversion en chroniqueur sur CNews, chaîne réputée conservatrice, il a traversé plus de trois décennies de vie politique hexagonale, non sans susciter la polémique.
De SOS Racisme à la « génération morale »
Tout commence le 15 octobre 1984, lorsque Julien Dray co-fonde SOS Racisme, association antiraciste appelée à marquer durablement le paysage politique français. Moins d’un an plus tard, le 15 juin 1985, il orchestre le désormais légendaire concert de la Concorde, qui rassemble pas moins de 400 000 personnes autour des valeurs de tolérance et de fraternité.
Ce coup d’éclat marque l’avènement d’un antiracisme militant, mais aussi l’émergence d’une « génération morale » incarnée par de jeunes loups ambitieux comme Harlem Désir, futur président du Parti Socialiste. Le mouvement contribuera à la réélection de François Mitterrand en 1988, consacrant le succès politique de Julien Dray et de ses acolytes.
L’irrésistible ascension du « Baron noir »
Fort de cette notoriété, celui que l’on surnomme déjà le « Baron noir » entame une carrière politique au Parti Socialiste. Élu député de l’Essonne en 1988, il sera constamment réélu jusqu’en 2012. Proche de Laurent Fabius, il incarne l’aile gauche du PS durant toutes ces années, n’hésitant pas à ferrailleur avec la direction du parti.
Mais les années 2000 marquent un tournant. Pris dans des affaires judiciaires, cible de nombreuses critiques y compris dans son propre camp, Julien Dray voit son étoile pâlir. En 2012, il perd son siège de député et se met en retrait de la vie politique. Beaucoup pensent alors que le « Baron noir » a dit son dernier mot.
La surprise CNews
C’était sans compter sur un ultime rebondissement. En 2019, à la surprise générale, Julien Dray devient chroniqueur régulier sur CNews, chaîne d’info réputée proche des milieux conservateurs. Lui qui ferraillait jadis avec la droite se retrouve soudain en porte-à-faux avec une gauche qui a largement basculé du côté de La France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon.
On a laissé dans les banlieues s’installer un trafic de stupéfiants gigantesque de mafia
— Julien Dray, sur CNews en 2023
Multipliant les charges contre LFI, dénonçant un « islamo-gauchisme » qui gangrènerait son ancien camp, il apparaît désormais comme un opposant résolu à Jean-Luc Mélenchon. En 2023, il publie même un livre à charge contre le leader Insoumis, acte de rupture définitive avec ses anciens camarades.
Un destin politique en forme de parabole
Le parcours de Julien Dray apparaît à bien des égards comme une parabole des mutations de la gauche française. De son engagement antiraciste des années 80, dans le sillage de François Mitterrand, à son rejet virulent de La France Insoumise, il incarne les déchirements d’une famille politique en pleine recomposition.
Certains y verront l’histoire d’une dérive, d’un renoncement aux idéaux de jeunesse. D’autres au contraire salueront la lucidité d’un vieux routier de la politique, révolté par les dérives d’une gauche qu’il ne reconnaît plus. Une chose est sûre : la trajectoire hors norme de Julien Dray n’a pas fini de faire parler, tant elle en dit long sur les bouleversements qui agitent la vie politique française.
Le « Baron noir », par les polémiques qu’il ne cesse de susciter, reste plus que jamais un acteur central du débat public. Reste à savoir si son influence politique survivra à sa mue idéologique. L’avenir nous le dira.