Alors que la Syrie se relève péniblement d’une décennie de guerre dévastatrice, un vent de changement souffle sur son avenir politique. L’Union Européenne, par la voix de sa cheffe de la diplomatie Kaja Kallas, a fixé un cap clair : la Russie et l’Iran, deux acteurs clés du conflit, « ne doivent pas avoir de place » dans la Syrie de demain.
Cette prise de position ferme intervient alors que le régime de Bachar Al-Assad vient de chuter, balayé le 8 décembre par une offensive fulgurante des rebelles du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS). Moscou et Téhéran, soutiens indéfectibles du pouvoir Assad jusqu’à sa chute, se retrouvent désormais privés de leur allié syrien de longue date. Un bouleversement géopolitique majeur aux conséquences encore incertaines.
L’UE pose ses conditions pour la reconstruction post-conflit
Alors que les regards se tournent vers l’avenir de la Syrie, l’Union Européenne entend bien peser dans la reconstruction du pays. Mais pas à n’importe quel prix. Pour Kaja Kallas, le départ des forces russes et iraniennes du territoire syrien doit être un préalable à tout soutien européen. « De nombreux ministres ont évoqué cela, que cela devait être une condition pour le nouveau pouvoir, qu’ils devraient se débarrasser de l’influence russe », a-t-elle souligné.
Une exigence qui vise directement les intérêts stratégiques de Moscou, qui dispose actuellement de deux bases militaires en Syrie, l’une aérienne et l’autre navale. Quant à l’Iran, allié chiite du régime alaouite des Assad, sa présence est également remise en cause. L’enjeu : redessiner l’échiquier géopolitique régional en écartant deux puissances jugées déstabilisatrices par les Occidentaux.
Le dilemme de l’UE face aux nouveaux maîtres de Damas
Mais si l’Union Européenne se montre ferme vis-à-vis de Moscou et Téhéran, elle doit aussi composer avec la nouvelle donne politique à Damas. HTS, le groupe rebelle islamiste qui a renversé Bachar Al-Assad, suscite une certaine méfiance dans les capitales occidentales. Classé « terroriste » par Washington malgré ses tentatives de normalisation, le mouvement devra faire ses preuves pour gagner la confiance de la communauté internationale.
Un exercice d’équilibriste délicat pour l’UE, qui cherche à renouer le dialogue avec la Syrie sans pour autant cautionner un régime islamiste radical. « Nous avons toujours dit que ne voulions voir aucun extrémisme, aucun radicalisme », a rappelé Kaja Kallas. Tout l’enjeu sera donc d’amener HTS sur une voie plus modérée, respectueuse des minorités ethniques et religieuses du pays.
La reconstruction comme levier d’influence
Pour peser dans cette nouvelle équation syrienne, l’Union Européenne compte s’appuyer sur un levier de taille : son potentiel soutien à la reconstruction du pays dévasté par des années de guerre. Une aide qui se chiffrera en milliards d’euros, et qui pourrait s’avérer décisive pour l’avenir de la Syrie. Mais Bruxelles entend monnayer son engagement.
Je pense que nous devons aussi être présents, car si nous devons aider à la reconstruction, nous devons être à la table des discussions avec les partenaires régionaux.
Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne
Un moyen pour l’UE de ne pas laisser le champ libre à d’autres puissances dans ce « grand jeu » syrien. Car la Russie et l’Iran ne sont pas les seuls acteurs à vouloir peser sur l’avenir du pays. Les monarchies du Golfe, la Turquie ou encore la Chine pourraient eux aussi chercher à étendre leur influence via la reconstruction. Une compétition géopolitique complexe dans laquelle l’Europe entend bien défendre ses intérêts et ses valeurs.
Vers une normalisation graduelle avec Damas ?
Signe d’une inflexion dans la position européenne, l’ambassadeur de l’UE en Syrie a fait le déplacement à Damas lundi pour y rencontrer les nouvelles autorités issues des rangs de HTS. Une première prise de contact décisive pour jauger de la volonté réelle de changement des islamistes syriens. Et peut-être, à terme, le début d’un processus de normalisation graduelle entre l’Occident et la Syrie post-Assad.
Mais le chemin s’annonce encore long et semé d’embûches. La méfiance reste de mise face à un mouvement issu d’Al-Qaïda, et seules des garanties tangibles sur le respect des droits humains et des minorités pourront lever les réticences européennes. Un défi de taille pour la diplomatie de l’UE, qui devra naviguer avec prudence entre fermeté sur ses principes et pragmatisme géopolitique.
Une chose est sûre : la chute de Bachar Al-Assad et le retrait annoncé des forces russo-iraniennes marquent un tournant historique pour la Syrie. Un « grand jeu » diplomatique s’ouvre, dont l’issue façonnera durablement l’avenir de ce pays meurtri et les équilibres de pouvoir régionaux. Un défi complexe, aux multiples inconnues, que l’Europe entend bien relever en défendant une vision inclusive et apaisée pour la Syrie de demain.