À la frontière entre la France et le Luxembourg, un fléau insidieux ronge le marché immobilier : celui des marchands de sommeil. Profitant d’un marché particulièrement tendu, ces derniers n’hésitent pas à louer des logements totalement indignes à des prix exorbitants. Face à cette situation alarmante, les élus locaux tirent la sonnette d’alarme et mettent en place des actions concrètes pour enrayer le phénomène.
Un marché immobilier sous haute tension
L’attrait du Grand-Duché de Luxembourg, avec ses opportunités d’emploi et ses salaires attractifs, crée une pression immobilière considérable dans les communes frontalières françaises. Les prix de l’immobilier au Luxembourg atteignent des sommets, avec en moyenne 8 000 euros le mètre carré, et même plus de 10 000 euros dans le centre du pays. Une situation qui pousse de nombreux travailleurs à chercher un logement du côté français, où les prix sont plus abordables.
Mais cette forte demande a aussi son revers : elle attire les marchands de sommeil, qui y voient une opportunité de profits faciles. Caves aménagées, appartements insalubres sans chauffage ni aération… Les exemples de logements indignes ne manquent pas. Et les locataires, souvent pressés de trouver un toit, n’ont parfois d’autre choix que d’accepter ces conditions déplorables.
Des élus locaux en première ligne
Face à cette situation, les maires des communes concernées sont souvent les premiers à être alertés. Selon Gautier Guérin, directeur adjoint de la Direction Départementale des Territoires de Moselle, le problème, autrefois cantonné aux grandes agglomérations comme Metz et Forbach, s’étend désormais au nord du département, le long de la frontière luxembourgeoise.
Pour le moment, on a des échanges sur les grands sujets d’aménagement du territoire avec le Luxembourg, sur les besoins en logement au sens large. Cette problématique du logement indigne fait partie des discussions.
Gautier Guérin, Direction Départementale des Territoires de Moselle
Mais ces discussions doivent encore être approfondies pour trouver des solutions pérennes. En attendant, les signalements de logements indignes ne cessent d’augmenter. En 2023, la DDT de Moselle a enregistré 600 signalements, soit une hausse de 32% par rapport à l’année précédente. Et les prévisions pour 2024 font état de 800 signalements potentiels.
Une justice parfois impuissante
Si plus de la moitié des signalements trouvent une issue positive dans l’année, sans nécessiter de procédure coercitive, seule une poignée de cas arrivent devant les tribunaux. Selon François Pérain, procureur général près la cour d’appel de Metz, à peine 10 à 15 procédures judiciaires sont engagées chaque année.
On n’a pas la capacité pour que les 500 signalements soient judiciarisés. Mais il faudrait quand même augmenter un peu le volume.
François Pérain, procureur général près la cour d’appel de Metz
Pourtant, seule la justice a le pouvoir de confisquer les biens des marchands de sommeil, une sanction particulièrement dissuasive selon le magistrat. Une convention a d’ailleurs été signée entre les parquets et les services de l’État pour améliorer les remontées d’informations sur ces délinquants de l’immobilier.
Le permis de louer, une solution efficace ?
Pour tenter d’endiguer le phénomène, plusieurs communes ont mis en place le « permis de louer ». Ce dispositif oblige les propriétaires souhaitant mettre en location un bien à obtenir une autorisation préalable, après une visite de contrôle du logement.
C’est le cas de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, où près de 4% des logements pourraient être indignes. Depuis 2021, le permis de louer y a été testé, avant d’être pérennisé en 2023 dans 7 des 10 communes de l’agglomération. Au total, 250 visites ont été effectuées, débouchant sur 12 refus de mise en location. Une soixantaine d’autorisations ont été délivrées, assorties de recommandations de travaux.
Cela va permettre d’aider à améliorer le patrimoine global. Et les propriétaires ont dans l’ensemble bien accueilli le dispositif.
Alexandra Rebstock-Pinna, vice-présidente chargée du logement, Communauté d’Agglomération du Val de Fensch
Un outil « assez percutant et assez pédagogique en même temps », selon Gautier Guérin, de la DDT de Moselle. Le permis de louer sera d’ailleurs étendu à quatre autres communes frontalières de la communauté de communes Pays-Haut-Val d’Alzette à partir du 15 janvier 2024. Dans ce secteur, on estime que 6% des logements pourraient être indignes.
Face à l’ampleur du phénomène, les élus locaux se mobilisent donc pour tenter d’enrayer cette spirale du mal-logement. Mais le combat est loin d’être gagné. Il faudra sans doute encore renforcer les contrôles, les sanctions, et surtout la coopération transfrontalière pour venir à bout des marchands de sommeil. Un défi de taille pour garantir à chacun un logement digne, de part et d’autre de la frontière.