Au cœur de Damas, dans un hôtel de la capitale syrienne, un homme se tient droit malgré sa jambe perdue. Riad Assaad, 58 ans, est l’un des principaux chefs de la rébellion qui a renversé Bachar al-Assad en décembre dernier après 13 années d’une guerre impitoyable. Ancien colonel de l’armée de l’air, il avait fait défection dès 2011 pour fonder l’Armée syrienne libre (ASL), devenue l’un des fers de lance de l’opposition au régime honni.
Quatre mois après la chute d’Assad, propulsée par une alliance hétéroclite dominée par les djihadistes de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), l’heure est à la reconstruction d’un pays dévasté mais aussi d’un peuple morcelé en une myriade de factions rivales. Un défi de taille auquel Riad Assaad veut croire, avec un optimisme renouvelé : « Notre objectif, c’est le pardon et la réconciliation. Mais il doit y avoir une justice transitoire pour qu’il n’y ait pas d’actes de vengeance ».
Unifier les rebelles, mission impossible ?
La tâche s’annonce ardue tant les groupes rebelles sont divisés, parfois jusqu’au sein d’une même mouvance. Durant le conflit, ces factions se sont souvent combattues, soutenues par des parrains étrangers aux intérêts divergents comme la Turquie, la Russie, l’Iran ou les monarchies du Golfe. Des alliances se sont faites et défaites au gré des circonstances. Mais pour Assaad, ces divisions étaient inévitables : « Il est normal que la révolution ait traversé plusieurs épreuves qui ont donné naissance à différentes factions avec parfois des idéologies opposées ».
Aujourd’hui, le chef rebelle se veut rassurant. Il dit collaborer étroitement avec HTS et le nouveau gouvernement intérimaire pour unir toutes les forces anti-Assad au sein d’une structure unique, un « conseil militaire ». Une gageure vu les profondes différences entre nationalistes laïcs, islamistes modérés, salafistes ou encore Kurdes. Mais Assaad est confiant : « La vérité, c’est que ce pourquoi nous avons œuvré depuis le début, c’est d’avoir qu’une seule entité pour diriger les forces d’opposition et remporter la victoire ».
HTS, de djihadistes à faiseurs de paix ?
Hayat Tahrir al-Sham cristallise les inquiétudes. Ce groupe, ex-branche syrienne d’Al-Qaida, est classé « terroriste » par plusieurs pays occidentaux malgré sa rupture affichée avec le djihadisme international. Son rôle prépondérant dans le renversement d’Assad et la mise en place d’un gouvernement lui vaut une certaine méfiance. Mais depuis sa prise de pouvoir, HTS se veut rassurant, insistant sur le respect des droits de tous les Syriens. Une main tendue que Riad Assaad saisit volontiers, voyant dans l’influence de ce groupe une opportunité d’éviter « des luttes intestines et des représailles ».
« Que la Russie revoie ses calculs »
Mais pour bâtir une « Syrie pour tous les Syriens », le soutien international sera crucial. Assaad appelle la communauté internationale à épauler les nouvelles autorités, comme elle l’avait fait avec l’ASL pendant la guerre. Un appel du pied notamment à la Turquie, parrain historique de la rébellion, qui a déjà rouvert son ambassade.
La position de la Russie, fidèle alliée d’Assad qui conserve des bases militaires dans l’ouest du pays, sera plus épineuse. « Elle a été un ennemi du peuple syrien », tacle Assaad. « Nous espérons qu’elle va abandonner cette hostilité et être un ami. Elle doit revoir ses calculs ». Un vœu pieux tant les intérêts de Moscou semblent irréconciliables avec ceux des vainqueurs du jour.
La route vers la paix et l’unité s’annonce donc longue et semée d’embûches. Mais en ce jour de printemps damascène, Riad Assaad veut y croire. Lui qui a perdu une jambe pour ce combat a trop donné pour baisser les bras. « Notre révolution a réussi à renverser la tyrannie. Maintenant, nous devons gagner la bataille de la réconciliation ». Une autre guerre commence.