Un silence de plomb règne sur Berlin. Dans les couloirs feutrés du Bundestag, l’atmosphère est électrique. Tous les regards sont tournés vers un homme : Olaf Scholz, le chancelier allemand en sursis. L’horloge tourne, les secondes s’égrainent, inexorables. 13 heures approchent. L’heure de vérité pour Scholz, l’heure du vote de confiance.
Depuis plus d’un mois, l’Allemagne retient son souffle. Le 6 novembre, le couperet est tombé. La coalition hétéroclite menée par Scholz a volé en éclats, minée par des dissensions insurmontables. Le ministre des Finances, un libéral, a été limogé sans ménagement. Depuis, le chancelier mène un gouvernement minoritaire, paralysé, incapable d’agir.
Alors Scholz a décidé de forcer le destin. De précipiter l’Allemagne vers des élections anticipées, avec l’espoir ténu de décrocher un second mandat. Un pari risqué pour ce dirigeant de 66 ans, au pouvoir depuis seulement deux ans. Car les sondages sont cruels : son parti social-démocrate plafonne à 17%. Les conservateurs de la CDU/CSU, eux, caracolent en tête avec plus de 30% d’intentions de vote.
L’Allemagne au bord du gouffre ?
13 heures sonnent. Scholz s’avance à la tribune, le visage grave. Il sait que son avenir politique se joue maintenant. D’une voix ferme, il demande la confiance du Parlement, conscient qu’il court au devant d’une défaite annoncée. Car sans majorité, pas de confiance.
Le verdict tombe comme un couperet : le chancelier est désavoué. La route est désormais dégagée pour des législatives le 23 février. L’Allemagne s’apprête à tourner une page de son histoire. Après 16 ans de règne d’Angela Merkel et une parenthèse social-démocrate, le pays s’achemine vers une alternance conservatrice.
Friedrich Merz, le chef de la CDU, se frotte déjà les mains. Cet ancien rival de Merkel, longtemps resté dans l’ombre, sent son heure venue. Pourtant, lui non plus n’inspire guère confiance aux Allemands. Inexpérimenté, jamais ministre ni maire, il peine à rassurer dans un contexte international volatil.
Une économie à la peine
Car l’Allemagne vacille. L’ancienne locomotive de l’Europe est au bord de la récession. Son industrie, fleuron national, tourne au ralenti, plombée par la flambée des coûts de l’énergie et la pénurie de main d’œuvre. Les plans sociaux se multiplient, le moral des ménages et des entreprises est en berne.
Le modèle allemand est clairement en crise. Le pays est en proie au doute, son avenir s’assombrit.
Claire Demesmay, chercheuse au Centre Marc Bloch de Berlin
Face à ces défis, Scholz tente un baroud d’honneur. Lui, l’austère, se fait soudain prodigue en promesses. Prime à l’achat pour les voitures électriques, baisse de la TVA sur les produits alimentaires… Le chancelier lâche du lest pour séduire des électeurs désorientés. Mais beaucoup voient ces promesses comme des mirages, déconnectés des réalités budgétaires.
Le spectre de Trump
Dans ce marasme, un autre péril guette : la montée de l’extrême droite. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) surfe sur la grogne et atteint des sommets dans les sondages, frôlant les 20%. Un cauchemar pour Scholz, hanté par le spectre de l’élection de Donald Trump aux États-Unis.
Merz, lui, joue à un jeu dangereux. Certains dans son camp n’hésitent plus à réclamer le retour des réfugiés syriens dans leur pays dévasté. Un discours qui flirte avec celui de l’AfD, au risque de brouiller les lignes et de banaliser les extrêmes.
Une Allemagne à la croisée des chemins
Au crépuscule de son mandat avorté, Scholz se raccroche à un mince espoir. Celui de retourner l’opinion in extremis, à force d’abnégation et d’expérience. De convaincre les Allemands qu’il est le mieux placé pour traverser les turbulences mondiales qui s’annoncent. Un défi immense pour cet animal politique, rompu aux arcanes du pouvoir mais dépourvu de charisme.
Face à lui, Merz avance ses pions avec une prudence de serpent. Il veut rassurer, construire une image d’homme d’État. Mais sa ligne conservatrice, entre austérité budgétaire et fermeté sécuritaire, peine à soulever les foules.
Une seule certitude : l’issue du scrutin débouchera sur une recomposition politique majeure. SPD et CDU/CSU, ces frères ennemis, seront sans doute contraints de cohabiter dans une « grande coalition » dont plus personne ne veut. Un mariage de raison, faute de mieux.
Pour l’Allemagne, c’est une période charnière qui s’ouvre. Le pays est à la croisée des chemins, tiraillé entre la peur du déclin et la tentation du repli. Réussira-t-il à renouer avec son rang de leader européen ? À surmonter les fractures qui le minent ? Les prochains mois seront décisifs.
D’ici là, Scholz vivra le vote de confiance de ce lundi comme une épreuve du feu. Un baptême politique dont il espère sortir grandi, prêt à en découdre dans l’arène électorale. Mais au Bundestag comme dans les urnes, rien n’est jamais joué d’avance. Le chancelier le sait mieux que quiconque : en politique, la roue tourne vite. Très vite.