Un vent de crise souffle sur la Corée du Sud. Le pays est secoué par une bataille politique sans précédent opposant le président Yoon Suk Yeol au Parlement. En jeu : le maintien au pouvoir du chef de l’État, suspendu et menacé de destitution après sa tentative ratée d’imposer la loi martiale. La Cour constitutionnelle, saisie par les députés, a lancé l’examen de cette procédure rarissime qui pourrait aboutir au départ forcé du dirigeant conservateur, moins d’un an après son arrivée à la Maison bleue.
L’affaire démarre dans la nuit du 3 au 4 décembre. À la surprise générale, le président Yoon décrète l’état d’exception et dépêche l’armée au Parlement pour museler l’opposition. Une manœuvre aussi brutale qu’éphémère. Six petites heures plus tard, sous la pression conjuguée des députés et de la rue, l’ex-procureur de 63 ans doit rengainer sa loi martiale. Mais le mal est fait. Furieuse, l’Assemblée vote samedi la destitution de celui qui a voulu la bâillonner, le suspendant ipso facto de ses fonctions.
Une procédure rarissime et incertaine
C’est désormais à la Cour constitutionnelle de trancher. Réunie en urgence ce lundi, la plus haute juridiction du pays a deux options sur la table : valider la motion parlementaire et déposer définitivement Yoon Suk Yeol, ou bien l’invalider et le rétablir dans ses fonctions. Une décision lourde de conséquences qui devrait prendre plusieurs mois, six au maximum.
D’ici là, c’est le Premier ministre Han Duck-soo qui assurera l’intérim. Dès sa prise de fonction, il s’est engagé à garantir une « gouvernance stable » dans cette période troublée. Une mission délicate alors que le pays est coupé en deux entre les pro et anti-Yoon, et que la menace nord-coréenne reste prégnante.
Des violations « flagrantes » de la Constitution
Si l’issue de la procédure reste incertaine, la plupart des constitutionnalistes jugent le dossier accablant pour le président déchu. Les violations de la loi fondamentale qui lui sont reprochées semblent difficilement contestables, à commencer par sa tentative de museler le Parlement par la force.
Les manquements de Yoon Suk Yeol à ses devoirs sont aussi nombreux que flagrants. Il sera très difficile pour la Cour de ne pas valider sa destitution.
Confie un professeur de droit sous couvert d’anonymat
Un jugement partagé par le chef de l’opposition Lee Jae-myung. Favori des sondages en cas d’élection anticipée, cet ancien avocat a appelé la Cour à agir rapidement pour « limiter le trouble national ». Une posture offensive qui ne l’empêche pas de devoir gérer lui aussi ses propres démêlés judiciaires.
Des leaders empêtrés dans les affaires
Condamné en novembre pour violation des lois électorales, Lee Jae-myung a vu sa peine suspendue en appel. Une épée de Damoclès pour ce poids lourd de la politique. S’il était définitivement condamné avant le scrutin, il ne pourrait pas se présenter. Un scénario noir pour ce potentiel candidat qui verrait alors les poursuites reprendre. Mais s’il était élu avant le jugement, il bénéficierait de l’immunité présidentielle.
Une immunité dont ne dispose plus Yoon Suk Yeol. Visé par une enquête pour « rébellion », un crime passible en théorie de la peine de mort, l’ex-président s’est vu interdit de quitter le territoire. Convoqué dimanche par les procureurs, il a refusé de se présenter, une attitude jugée arrogante par ses contempteurs.
Deux précédents, deux issues opposées
Dans ce feuilleton politico-judiciaire, le dénouement est encore loin d’être écrit. Si la destitution de Yoon était confirmée, il deviendrait le deuxième président sud-coréen démis de ses fonctions après Park Geun-hye en 2017. Pour cette dernière, destituée pour corruption, la Cour avait mis trois mois à entériner la décision du Parlement.
Mais il existe aussi un précédent inverse. En 2004, la tentative de destitution du président progressiste Roh Moo-hyun avait été rejetée par les juges constitutionnels, permettant à ce dernier de retrouver son fauteuil. Une issue espérée par les soutiens de Yoon Suk Yeol mais jugée très improbable par les experts au vu du dossier.
Pyongyang se frotte les mains
De l’autre côté du 38e parallèle, le régime nord-coréen observe la situation avec délectation. Qualifiant lundi son homologue du Sud de « chef de la rébellion » et de « marionnette » des États-Unis, la propagande officielle a multiplié les critiques acerbes contre celui qui a voulu « écraser le peuple » avec sa loi martiale.
Une posture qui masque mal la satisfaction de Pyongyang face à cette crise qui affaiblit son voisin et ennemi. Le dirigeant Kim Jong Un sait que des élections anticipées pourraient porter au pouvoir un président plus conciliant, potentiellement favorable au dialogue. Une perspective qui réjouit le royaume ermite.
En attendant, la Corée du Sud retient son souffle. Déchirée politiquement, fragilisée économiquement, menacée militairement, elle traverse l’une des périodes les plus instables de son histoire récente. L’issue de la procédure de destitution sera décisive pour l’avenir du pays et celui de la péninsule coréenne.