Des scènes de désolation à perte de vue. Voilà ce qu’ont découvert les habitants de Mayotte au lendemain du passage dévastateur du cyclone Chido. Cet archipel français de l’océan Indien, déjà fragilisé, se retrouve aujourd’hui face à une situation dramatique où le quotidien se résume en quelques mots : « carnage », « chaos », « soif et faim ». Alors que les communications et la circulation restent largement perturbées, des voix s’élèvent pour témoigner de l’ampleur du désastre.
Un lourd bilan humain redouté
Parmi ces voix, Ousseni Balahachi, infirmier à la retraite résidant à Mamoudzou, la capitale. Il décrit un « carnage » où « le tribunal, la préfecture, beaucoup de services, de commerces, des écoles sont à terre ». L’hôpital central n’a pas été épargné, avec des « toitures arrachées » et des « services inondés », notamment celui des urgences. Une situation alarmante dans un établissement qui manque « cruellement de personnel » et pourrait ne pas être en mesure « d’accueillir et soigner dans de bonnes conditions » les nombreux blessés attendus.
Car c’est bien un lourd bilan humain que redoute Ousseni Balahachi. Il pointe notamment du doigt le refus de nombreux habitants des bidonvilles, souvent étrangers en situation irrégulière, de rejoindre les bâtiments prévus pour les accueillir avant la tempête, craignant « un piège pour les conduire hors des frontières ». « Ces gens-là sont restés jusqu’à la dernière minute », confie-t-il, amer. « Quand ils ont vu l’intensité du cyclone, ils ont cherché à se réfugier. Mais c’était trop tard ».
Une île coupée du monde
Autre constat alarmant : Mayotte se retrouve largement coupée du monde. « Tout est coupé, les liaisons téléphoniques, WhatsApp, Facebook, les liaisons électriques, les routes… », énumère l’infirmier retraité. Impossible donc « d’avoir des nouvelles des gens qui sont au sud, au centre, ni au nord, ni en Petite-Terre ». Cette dernière, petite île située en face de Mamoudzou, est particulièrement difficile d’accès.
Un constat partagé par le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaila. Il évoque « sept villages du Grand-Mamoudzou » toujours inaccessibles et la route menant à Haut-Vallons, au nord, impraticable. La municipalité a mobilisé 300 agents et le centre d’action sociale pour apporter « de l’eau et de la nourriture » aux quelque 6000 personnes réfugiées dans les centres d’hébergement. Une goutte d’eau face aux besoins immenses de la population.
Entre dévastation et pillages
Car sur le terrain, le spectacle est apocalyptique. Ibrahim Mcolo, venu se mettre à l’abri à Kangani dans le nord, a tenté de rejoindre son domicile de Chiconi, à l’ouest. Sur la route, il a découvert « un décor apocalyptique » où « seules quelques maisons en dur ont tenu ». Dans les bidonvilles, « il ne reste rien ». Même « les plus grosses entreprises ont subi des dégâts ». Pour lui, il faudra « tout reconstruire ».
À Mamoudzou aussi, « tout est ravagé », confirme Frédéric Belanger, qui vit avec sa femme et sa fille dans le quartier de Mgombani. Si son appartement a tenu, celui du dessus « n’a plus de toit ». « Il y a des fuites partout », déplore ce salarié de l’entreprise Colas, réquisitionné pour « déblayer les routes et acheminer ce qui arrive en avion de Petite-Terre vers Grande-Terre avec une petite barge ». Un travail titanesque alors que « toutes les routes sont barrées » et qu’on ne circule plus « qu’à pied ».
Il décrit aussi des scènes de « pillages un peu partout » et des « affrontements entre bandes », sur fond de pénuries d’eau et d’électricité. Une situation explosive, alors que la population manque déjà du « minimum vital ».
L’urgence des secours
Face à l’ampleur du désastre, les secours tentent de s’organiser dans l’urgence. Lucas Duchaufour, kinésithérapeute à Labattoir en Petite-Terre, reconnaît avoir « complètement sous-estimé l’impact du cyclone ». Dans son quartier, « certains voisins ont déjà soif et faim ». « La moitié n’a pas à manger », s’alarme-t-il, espérant une aide rapide.
Car c’est bien une course contre la montre qui est engagée à Mayotte. Avec des communications coupées, des routes impraticables et des milliers de sinistrés, l’archipel a désespérément besoin d’une mobilisation massive et coordonnée pour éviter que le bilan, déjà très lourd, ne s’alourdisse encore dans les jours à venir. Une tragédie de plus pour ce territoire français d’outre-mer, régulièrement frappé par des crises mais rarement sous le feu des projecteurs médiatiques. Le cyclone Chido, lui, ne passera pas inaperçu. Mais à quel prix pour la population mahoraise ?