C’est une plongée dans l’horreur des geôles syriennes qu’ont vécue plusieurs journalistes et anciens détenus ces derniers jours. Avec la chute du régime de Bachar al-Assad, ils ont pu retourner dans ces lieux de cauchemar, désormais désertés. Un retour éprouvant sur les traces d’un passé indicible, encore à vif.
Dans les entrailles de la « branche de Palestine »
Mohammed Darwich, journaliste, a passé 120 jours dans les sous-sols de la tristement célèbre « branche de Palestine », l’une des sections les plus redoutées des renseignements syriens. Là où atterrissaient les personnes arrêtées pour « terrorisme », souvent sans plus jamais donner signe de vie.
Revisitant la cellule n°9, sans fenêtre, aux murs noirs et humides, où il était entassé avec une centaine d’autres, Mohammed témoigne du « désespoir » qui les habitait. L’odeur de putréfaction, encore prégnante, lui rappelle l’enfer quotidien : interrogatoires incessants, passages à tabac, détenus rendus fous par les sévices…
« Quand la porte se referme derrière nous, un sentiment de désespoir nous submerge. Cette cellule a été témoin de tellement de tragédies », murmure-t-il, la voix encore nouée par l’émotion.
Ruée vers les centres de détention abandonnés
Depuis la chute du régime dimanche dernier, une foule de Syriens se presse vers les prisons et centres de renseignement désormais vides, à la recherche d’informations sur leurs proches disparus. Une quête souvent vaine, comme pour cette femme fouillant désespérément dans des piles de cartes d’identité abandonnées.
Pendant ce temps, d’anciens détenus comme Adham Bajbouj reviennent affronter leurs pires cauchemars. Ce trentenaire, passé de 85 à 50 kg durant ses 35 jours de détention, évoque pêle-mêle les interrogatoires, les humiliations et les innommables corvées, comme « nettoyer les lieux de torture » ou « sortir les morts des cellules ».
Des archives parties en fumée
Dans les bureaux des officiers, les journalistes découvrent des monceaux de documents brûlés, probablement des archives « importantes » ou « secrètes » sur les exactions du régime. Seule une lettre de 2022 a échappé aux flammes, ordonnant l’arrestation d’un soldat accusé de liens avec des « organisations terroristes armées ».
Face à son ancienne cellule, Waël Saleh peine encore à réaliser la chute du régime. Incarcéré pour « terrorisme » comme tant d’autres, il se remémore ces mois d’enfer à plus de 100 entassés dans quelques mètres carrés, « debout pour permettre aux plus âgés de s’allonger ».
Des images et des récits qui resteront à jamais gravés dans la mémoire collective syrienne. La lumière commence à peine à être faite sur l’ampleur de la répression et les centaines de disparus. Mais pour beaucoup, revisiter ces lieux de torture, c’est déjà arracher une part de vérité au silence imposé pendant tant d’années.