Ce dimanche, les Boliviens sont appelés aux urnes pour un scrutin hors du commun : l’élection de leurs plus hauts magistrats. Un processus électoral unique au monde, adopté en 2011, mais qui suscite de vives controverses. Alors que le pays s’apprête à vivre son troisième vote de ce type, la méfiance et le désenchantement semblent à leur comble.
Un chemin semé d’embûches
Initialement prévu pour 2023, ce scrutin a été reporté à maintes reprises. Les 7,3 millions d’électeurs boliviens sont finalement conviés ce dimanche à choisir 38 candidats, présélectionnés par le Parlement, pour siéger à la Cour suprême de justice, au Tribunal constitutionnel, au Conseil de la magistrature et au Tribunal agro-environnemental. Mais le processus est loin d’être un long fleuve tranquille.
Face aux contestations de certains candidats recalés lors de la présélection, le Tribunal constitutionnel a suspendu les élections qui devaient désigner ses propres remplaçants dans cinq des neuf départements du pays. Une décision similaire a été prise pour la Cour suprême dans deux départements. Un parcours chaotique qui n’est pas sans conséquence sur la perception des citoyens.
Une défiance record
Selon un récent sondage Ipsos, dans les plus grandes villes boliviennes, 85% de la population n’a pas ou peu confiance en la justice. Un chiffre alarmant, reflet d’un profond malaise. « Les gens ont toujours été méfiants, mais jamais comme aujourd’hui. L’incertitude est à son comble », témoigne Justo Arce, un retraité de 72 ans qui a décidé de bouder les urnes.
Après les scrutins de 2011 et 2017, où les votes nuls et blancs ont dépassé 60%, les Boliviens abordent cette troisième édition avec un désenchantement encore plus marqué. Pour la politologue Ana Lucia Velasco, « le discrédit de la justice est plus fort que jamais. On pensait que les élections judiciaires allaient inverser la tendance, mais cela n’a pas été le cas ».
Un manque de lisibilité
Autre écueil de taille : le manque de transparence du processus. Les candidats n’ayant pas le droit de faire campagne, les électeurs peinent à se repérer. « Je ne connais personne », déplore Valentina Esteban, une femme au foyer de 57 ans. « Je ne suis pas satisfaite du système judiciaire parce qu’on ne peut pas lui faire confiance. Je ne sais pas qui dit la vérité et qui ment ».
Les juges finissent par être choisis par 2 ou 3% des électeurs, ils n’ont aucune légitimité.
Ana Lucia Velasco, politologue
Un enjeu politique majeur
Au-delà de ces considérations, l’enjeu politique est de taille. En 2025, la Bolivie élira son nouveau président, et le pouvoir judiciaire pourrait jouer un rôle déterminant dans l’issue de la bataille que se livrent l’ancien président Evo Morales et l’actuel, Luis Arce, pour la direction de la gauche.
La Cour constitutionnelle s’est déjà illustrée cette année en empêchant Evo Morales de se représenter, limitant à deux le nombre de mandats présidentiels. Une décision qui pourrait être remise en cause par les nouveaux juges élus, selon certains observateurs. « Malheureusement, l’ingérence politique de la gauche et de la droite fait que les juges indépendants sont subordonnés à ceux qui sont au pouvoir », déplore Danny Paucara, président de l’association du barreau de La Paz.
Vers une réforme du système ?
Face à ces dysfonctionnements, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une réforme en profondeur du système. Instaurées sous le gouvernement d’Evo Morales pour favoriser l’impartialité de la justice, ces élections judiciaires semblent avoir manqué leur but.
Danny Paucara suggère un retour au système précédent, où les hauts magistrats étaient élus par les députés. Une piste parmi d’autres pour tenter de restaurer la confiance des citoyens dans leur justice. Car au-delà du résultat de ce scrutin, c’est bien la légitimité de l’ensemble de l’institution judiciaire qui est en jeu.
Alors que les Boliviens s’apprêtent à glisser leur bulletin dans l’urne, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’avenir de leur démocratie. Dans un pays où la justice est devenue un terrain d’affrontement politique, la route vers un état de droit apaisé semble encore bien longue.