Un biopic poignant sur le penseur martiniquais Frantz Fanon vient d’être dévoilé en avant-première au Festival du film de Marrakech. Intitulé sobrement « Fanon », ce long-métrage du réalisateur guadeloupéen Jean-Claude Barny retrace le parcours déterminant de cette figure majeure de l’anticolonialisme durant son séjour en Algérie entre 1953 et 1956, alors sous domination française.
A travers ce portrait intime et engagé, Jean-Claude Barny cherche à ranimer la pensée visionnaire de Frantz Fanon, qui selon lui « peut remettre un peu de justesse » dans notre monde contemporain. Le cinéaste a voulu « donner à voir des images poignantes aux spectateurs et créer le sentiment qu’ils participent à l’aventure de Fanon de l’intérieur ».
Un combat pour l’humanité des patients algériens
Affecté comme médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Blida, au sud-ouest d’Alger, le jeune psychiatre Frantz Fanon y découvre les conditions d’internement déplorables réservées aux patients algériens. Il s’efforce alors d’imposer une approche thérapeutique plus humaine et digne, se heurtant au mépris et au racisme des colons français.
Son combat s’étend rapidement au-delà des murs de l’hôpital lorsqu’il entre en contact avec des résistants du Front de libération nationale (FLN) en lutte pour l’indépendance. Fanon apporte une aide médicale clandestine à ces militants anticolonialistes, confronté à la brutalité de la répression française.
Plongée saisissante dans les horreurs du colonialisme
Le film dépeint avec force les assassinats sommaires, la terreur et les discriminations subies par les Algériens sous la colonisation. Une immersion glaçante qui incite à une réflexion sur les mécanismes et la violence du colonialisme, au cœur de l’œuvre de Frantz Fanon.
On ne peut pas continuer à accepter qu’on occupe, qu’on discrimine, qu’on colonise, qu’on arrache des personnes à leur terre, qu’on dépèce, qu’on tue avec mépris.
Jean-Claude Barny, réalisateur
L’émergence d’une conscience anticoloniale
C’est en Algérie que Frantz Fanon articule sa réflexion décisive sur la violence du système colonial et la nécessité de s’en affranchir. Une prise de conscience qui nourrira ses essais phares, Peau noire, masques blancs (1952) et Les damnés de la terre (1961), écrits fondateurs de la pensée anticoloniale qui marqueront des générations de militants.
Pour restituer au mieux la « psyché de Fanon », Jean-Claude Barny a opté pour une voix-off et des flashbacks montrant l’auteur en train d’écrire son dernier ouvrage, Les damnés de la terre, publié peu avant sa mort précoce à l’âge de 36 ans. Le défi était de « faire du beau cinéma destiné au très grand public et à la fois lui donner une conscience » sur ces enjeux toujours d’actualité.
Un film pour « remettre un peu de justesse »
A l’heure où les tensions et les répressions perdurent à travers le monde, le réalisateur estime qu’une œuvre comme celle de Frantz Fanon « peut remettre un peu de justesse ». Face à la montée des violences, « il va falloir qu’on fasse un choix » et retrouver « ce qui s’est passé dans l’histoire » pour « défendre la parole la plus sincère ».
Ce film ambitieux et nécessaire, qui a mis dix ans à voir le jour, témoigne de la détermination de Jean-Claude Barny à faire vivre l’héritage de Frantz Fanon. Tourné en Tunisie, à défaut d’autorisation pour filmer en Algérie, « Fanon » sortira dans les salles françaises en avril prochain, 62 ans après la mort de celui qui repose désormais dans son pays d’adoption et de lutte, l’Algérie.
Une plongée cinématographique puissante au cœur du parcours et de la pensée d’une icône de l’anticolonialisme, dont le message n’a rien perdu de son urgence et de son universalité.