C’est un lieu qui faisait frémir les Syriens rien qu’à son évocation. Entouré de hauts murs de béton, l’énorme carré de sécurité qui trônait au cœur de Damas abritait les pires secrets du régime de Bachar al-Assad. Mais aujourd’hui, après la chute du dictateur, cet ancien bastion de la terreur commence enfin à livrer ses sombres mystères.
Un centre névralgique de la répression
Véritable cité interdite au sein de la capitale syrienne, le carré de sécurité regroupait les principaux organes de répression du régime, mais aussi certaines institutions officielles comme le ministère de l’Électricité. C’est là que les Syriens étaient convoqués, interrogés, torturés et détenus dans des branches désignées par des noms ou des numéros. Parmi elles, celle surnommée la « Branche Palestine » était particulièrement redoutée pour sa cruauté.
Les témoignages d’anciens prisonniers permettent aujourd’hui de mieux comprendre le fonctionnement de cette sinistre machine. À l’étage, les personnes convoquées étaient longuement interrogées, avant d’être incarcérées dans les cachots souterrains, puis parfois transférées vers d’autres geôles du régime.
55 jours sous terre
Sleimane Kahwaji, un secouriste, erre dans les couloirs du bâtiment à la recherche de l’endroit où il a été interrogé et détenu. Arrêté en 2014 pour « terrorisme » – une accusation courante sous Assad – alors qu’il était encore lycéen, il raconte avoir passé 55 jours dans les sous-sols, entassé avec 54 autres détenus dans une cellule où deux prisonniers sont morts, dont un du diabète.
Nous étions à 55 dans un cachot, deux prisonniers sont morts, dont l’un du diabète.
Sleimane Kahwaji, ancien détenu
Dans la pénombre des cachots, les murs portent encore les traces des souffrances endurées. « Ma chère mère », peut-on lire, gravé par un prisonnier. Les cellules individuelles sont si exiguës qu’il est impossible de s’y allonger. Dans les autres, jusqu’à 80 détenus s’entassaient, dormant à tour de rôle, selon le témoignage de Thaer Moustafa, lui aussi arrêté pour « désertion ».
Une surveillance draconienne
Mais les geôles ne sont pas les seules à livrer leurs secrets. Dans les bureaux des étages, ce sont des centaines de dossiers abandonnés qui révèlent l’ampleur de la surveillance exercée par le régime sur la population. Des milliers de documents consignent les moindres faits et gestes des Syriens, soumis à un contrôle permanent.
Une liste manuscrite documente les noms de plus de 10 000 membres des Frères musulmans emprisonnés, la confrérie honnie du pouvoir, avec leurs dates de naissance, lieux d’interrogatoire et pour certains la mention « décédé ». Car l’appartenance au mouvement islamiste, qui avait mené une insurrection écrasée dans le sang à Hama en 1982, valait à elle seule la peine de mort.
D’autres rapports détaillent la surveillance d’un Britannique d’origine syrienne soupçonné d’espionnage, un attentat à Damas, les activités de dignitaires religieux ou de journalistes… Le régime encourageait la délation, monnayant les informations fournies par les citoyens.
L’espoir des familles
Depuis la libération du carré de sécurité, des familles affluent, espérant obtenir des nouvelles de leurs proches disparus. Comme Khouloud Amini, 53 ans, qui recherche son fils Obada, étudiant en génie arrêté en 2013. Après avoir fait le tour des prisons sans le retrouver, elle garde l’espoir que des cachots secrets abritent encore des prisonniers.
J’espère que tous les prisonniers syriens, et pas seulement mon fils, seront libérés.
Khouloud Amini, mère d’un disparu
Car si le carré de sécurité de Damas n’a pas encore livré tous ses secrets, il offre déjà un aperçu glaçant de l’appareil répressif du régime Assad. Un système de terreur dont l’objectif était de museler toute opposition en soumettant la population à une surveillance et à un contrôle permanents. La chute du dictateur permet aujourd’hui de lever le voile sur ces années noires, donnant une lueur d’espoir aux familles de disparus toujours sans nouvelles de leurs proches.