Après 14 années d’une guerre civile dévastatrice en Syrie, qui a fait plus de 500 000 victimes et vu se dérouler les pires atrocités, l’espoir d’une justice renait. La chute ce weekend du régime de Bachar al-Assad ouvre enfin la voie aux enquêteurs de l’ONU, qui rassemblent minutieusement des preuves depuis des années. La Syrie devient accessible, tel un immense théâtre de crimes, et avec elle, la perspective de poursuites contre les responsables.
Une « scène de crime » sous haute surveillance
Depuis Genève, les 82 membres du Mécanisme international, impartial et indépendant (MIII) de l’ONU sont sur le pied de guerre. Créé en 2016, ce groupe d’enquêteurs chevronnés a déjà accumulé plus de 283 téraoctets de données sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés en Syrie depuis 2011. Mais l’accès au terrain leur a toujours été refusé par Damas.
Avec la chute du régime, la donne change. « C’est la scène de crime, donc si nous pouvons y avoir accès, cela change tout pour nous », confirme Robert Petit, qui dirige le MIII depuis début 2024. L’urgence est de préserver les preuves, alors que les insurgés s’emparent des lieux de pouvoir.
Des images montrent déjà des « salles remplies de tonnes de documents » dans les prisons qui se vident. Un véritable trésor pour les enquêteurs, qui s’attendent à une « quantité considérable d’informations disponibles ».
L’étendue des atrocités
Car l’ampleur des exactions commises en Syrie depuis 2011 donne le vertige. Robert Petit énumère :
- Bombardements d’hôpitaux
- Utilisation d’armes chimiques
- Torture systématique dans les prisons
- Violences sexuelles généralisées
- Massacres et même génocide
La gamme est complète : des massacres à l’utilisation d’armes chimiques, de l’esclavage au génocide.
Robert Petit, directeur du MIII
« Elle n’est limitée que par l’imagination des auteurs des actes et, malheureusement, cette imagination a semblé croître avec les moyens dont ils disposaient », déplore-t-il. Après avoir été « facilitateur de justice » pendant des années, le MIII compte bien saisir l’occasion de « s’attaquer à l’impunité généralisée » en Syrie.
La société civile mobilisée
Pour cela, le groupe d’enquêteurs peut compter sur la société civile syrienne, déjà rompue aux techniques de préservation des preuves pour de futures poursuites. Le MIII a mis en ligne un « mode d’emploi » pour ceux qui auraient moins d’expérience, détaillant comment sécuriser les preuves ou établir une chaine de possession claire.
Car c’est bien la responsabilité pénale individuelle des auteurs de crimes qui est visée. Les preuves accumulées par le MIII ont déjà servi dans environ 230 enquêtes menées dans 16 pays, de la France à la Slovaquie. La justice universelle s’est déjà emparée de certains dossiers.
Reconstruire sur des bases saines
Mais l’espoir d’une justice rendue directement en Syrie et par les Syriens se dessine. Le MIII se tient prêt à épauler un futur système judiciaire national, dès qu’il sera opérationnel. La Cour pénale internationale pourrait aussi se saisir du dossier, si Damas ratifie le traité de Rome.
La route sera longue, mais pour Robert Petit, la quête de justice doit être centrale dans l’avenir de la Syrie. Sinon, prévient-il, « on ne construit rien de solide ». Après 14 ans de crimes impunis, les Syriens ont soif de vérité et de réparation. L’espoir qu’elles adviennent enfin n’a jamais été aussi fort.