C’est un verdict qui ne manquera pas de faire réagir. Ce lundi 9 décembre, Daniel Penny, l’ancien marine accusé d’avoir étranglé à mort Jordan Neely dans le métro new-yorkais, a été acquitté des charges d’homicide involontaire qui pesaient contre lui. Une décision de justice qui vient clore une affaire aussi tragique que clivante, et qui en dit long sur les profondes fractures qui traversent la société américaine.
Retour sur les faits
Le 1er mai dernier, une altercation éclate dans une rame du métro de New York entre Jordan Neely, un homme noir de 30 ans sans-abri et souffrant de troubles psychiatriques, et Daniel Penny, un ancien marine de 24 ans. Selon des témoins, Jordan Neely criait sur les autres passagers de façon erratique. Daniel Penny est alors intervenu, immobilisant au sol Jordan Neely dans une prise d’étranglement, pendant de longues minutes, jusqu’à ce que ce dernier ne bouge plus. Jordan Neely sera déclaré mort peu de temps après.
L’affaire, filmée par des passagers et rapidement relayée sur les réseaux sociaux, a immédiatement suscité l’émoi et la polémique aux États-Unis. Pour beaucoup, il s’agit d’un homicide pur et simple, un acte de violence gratuite perpétré contre un homme vulnérable, illustration criante du racisme systémique qui gangrène le pays. Mais Daniel Penny et ses défenseurs invoquent quant à eux la légitime défense, arguant qu’il n’a fait que réagir à la menace que représentait le comportement agité et agressif de Jordan Neely.
Un procès sous haute tension
C’est dans ce contexte de vives tensions que s’est ouvert le procès de Daniel Penny en novembre dernier. L’accusation, menée par le bureau du procureur de Manhattan Alvin Bragg, a plaidé qu’en maintenant sa prise d’étranglement sur Jordan Neely pendant 15 longues minutes, bien après que celui-ci ait cessé de se débattre, Daniel Penny avait fait un usage excessif et injustifié de la force, outrepassant largement le cadre de la légitime défense.
Mais après trois semaines intenses d’audiences et de délibérations, les jurés en ont finalement décidé autrement. Pour eux, Daniel Penny a agi de façon raisonnable et proportionnée face à la menace perçue, dans le seul but de protéger les autres passagers et lui-même. Des circonstances atténuantes qui justifient donc son acquittement, même si le bureau du procureur « respecte la décision du jury ».
Colère et incompréhension
Sans surprise, ce verdict a immédiatement fait l’objet de vives critiques. À la sortie du tribunal, des manifestants ont scandé des slogans comme « Pas de justice, pas de paix ! » tandis que le père de Jordan Neely exprimait sa colère et son incompréhension. Pour beaucoup de militants et d’observateurs, impossible en effet de ne pas voir dans la mort de Jordan Neely et dans l’acquittement de Daniel Penny le reflet d’une société profondément inégalitaire, incapable de protéger ses citoyens les plus vulnérables.
C’est l’Amérique. C’est le son de la douleur des Noirs.
Une manifestante interviewée par CBS
À l’inverse, l’acquittement de Daniel Penny était une évidence pour ses soutiens, à commencer par ceux issus des milieux républicains et conservateurs. Nombreux sont ceux qui voient en lui un « justicier » ou un « bon samaritain », qui a eu le courage d’agir face à la menace que représentait Jordan Neely et au laxisme ambiant. Son geste est même érigé en exemple par certains, dans un contexte de hausse du sentiment d’insécurité à New York.
Un miroir des fractures de l’Amérique
Au-delà des faits d’espèce, l’affaire Jordan Neely vient ainsi cristalliser les nombreuses lignes de faille qui traversent la société américaine. Des fractures raciales d’abord, dans un pays encore profondément marqué par les violences et discriminations subies par la communauté afro-américaine, et qui peine à faire son examen de conscience. Des fractures sociales et économiques aussi, entre une Amérique qui réussit et une autre, marginalisée, livrée à elle-même, que Jordan Neely incarnait tragiquement.
Des divisions politiques enfin, de plus en plus béantes, entre une gauche qui dénonce les injustices systémiques et appelle à une refonte en profondeur du pays, et une droite décomplexée, avide d’un retour à l’ordre quitte à faire usage de la force. L’affrontement de ces deux visions irréconciliables de l’Amérique s’est donné à voir tout au long de cette affaire, des premiers commentaires à chaud sur les réseaux sociaux jusqu’aux joutes des prétoires.
Et maintenant ?
Si le procès de Daniel Penny est désormais clos sur le plan judiciaire, il est peu probable que le débat public s’éteigne de sitôt autour du cas Jordan Neely. D’ores et déjà, certaines voix appellent à une reprise de l’enquête au niveau fédéral, pour que Daniel Penny soit cette fois poursuivi au titre des lois sur les droits civiques. D’autres évoquent des actions au civil de la part de la famille de Jordan Neely.
Mais c’est surtout sur le terrain politique que le combat semble devoir se poursuivre. Déjà, l’affaire a relancé le débat sur la nécessité d’une vaste réforme de la police et du système judiciaire, pour les rendre plus justes et équitables. Elle a aussi remis en lumière l’urgence de s’attaquer à la question des inégalités et de l’exclusion, en particulier le drame des sans-abris et des personnes souffrant de troubles mentaux, trop souvent livrés à eux-mêmes dans les grandes villes américaines.
Des chantiers immenses et ardus, qui nécessiteront bien plus que l’émotion et les polémiques suscitées par des faits divers, aussi tragiques soient-ils. Mais le débat ouvert par la mort de Jordan Neely, aussi douloureux et clivant soit-il, aura au moins eu le mérite de remettre ces enjeux au cœur de la discussion. À l’Amérique désormais de trouver la force et la sagesse d’y apporter des réponses à la hauteur, pour que le sacrifice de Jordan Neely ne soit pas vain.