La scène a quelque chose de surréaliste. Dans les souks animés de la vieille ville de Damas, des pick-ups chargés de rebelles syriens paradent sous les vivats de la foule. Encore inimaginable il y a quelques jours, ce tableau illustre le bouleversement historique qui vient de s’opérer : dans la nuit de samedi à dimanche, les forces d’opposition ont réussi à renverser le régime de fer de Bachar el-Assad, au pouvoir depuis 22 ans. Une révolution éclair qui ouvre une nouvelle page pleine d’espoir, mais aussi d’incertitudes, pour un pays meurtri par une décennie de guerre civile.
Damas, de l’euphorie à l’incertitude
Depuis l’annonce de la chute d’Assad, c’est une véritable libération que vivent les Damascènes. Dans une ambiance électrique, les emblèmes de l’ancien régime sont piétinés et remplacés par les drapeaux de l’opposition. Une liesse contagieuse, ponctuée de scènes de fraternisation entre rebelles et civils, qui tranche avec la chape de plomb imposée pendant des années par le clan Assad.
Mais derrière les sourires et les chants, une sourde inquiétude commence déjà à poindre. Car le chemin de la reconstruction et de la réconciliation s’annonce long et chaotique pour un pays déchiré, exsangue, où près de 500 000 personnes ont perdu la vie depuis 2011.
Le spectre du chaos à l’irakienne
En dépit de l’union sacrée affichée par l’opposition, le renversement soudain du régime fait craindre un dangereux vide du pouvoir. De nombreux experts redoutent un scénario à l’irakienne, avec une fragmentation des forces anti-Assad et une résurgence des violences communautaires.
Le risque est grand de voir la Syrie s’enfoncer dans le chaos, faute d’une autorité centrale reconnue par tous les acteurs.
Un diplomate occidental en poste à Damas
La priorité des prochains jours sera de sécuriser les institutions et d’organiser une transition inclusive. Mais la tâche s’annonce ardue, tant le tissu social et politique syrien a été anéanti sous la férule d’Assad. Un travail de longue haleine auquel la communauté internationale devra impérativement prêter main forte, sous peine de voir le pays basculer dans l’anarchie.
La question kurde, pomme de discorde
Parmi les nombreux défis qui attendent les nouveaux maîtres de Damas, la question kurde cristallise déjà les tensions. Après avoir joué un rôle clé dans la lutte anti-Assad, les combattants kurdes des YPG entendent bien monnayer chèrement leur soutien à la coalition rebelle. Principale pomme de discorde : leur volonté d’autonomie, voire d’indépendance, pour les régions kurdes du nord-est syrien, qui inquiète fortement la Turquie voisine.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a d’ailleurs mis en garde dimanche contre toute velléité séparatiste kurde, menaçant même d’une intervention militaire. De quoi compromettre les fragiles espoirs de pacification.
Quel rôle pour Assad ?
Autre grande inconnue : le sort de Bachar el-Assad lui-même. Selon des sources concordantes, le raïs déchu aurait fui le pays juste avant l’entrée des rebelles dans Damas, trouvant probablement refuge chez son dernier allié, Vladimir Poutine. Son avenir judiciaire fait déjà débat : si les nouvelles autorités réclament qu’il soit jugé pour ses crimes, certains plaident pour une forme d’immunité, en échange d’un exil définitif.
Assad doit payer pour les atrocités commises. Mais l’essentiel est qu’il ne revienne jamais en Syrie.
Une figure de l’opposition syrienne
Au-delà du cas Assad, l’épineuse question de la justice transitionnelle et de la réconciliation nationale s’impose comme un défi majeur pour l’après-guerre. Après tant d’années de répression sanglante, la tentation des règlements de comptes sera grande. Il faudra toute la sagesse des dirigeants syriens pour réussir à tourner cette sombre page sans attiser de nouveaux désirs de vengeance.
Vers une implication de la communauté internationale ?
Face à ces immenses défis, les regards se tournent vers la communauté internationale. Si l’Occident a globalement accueilli avec soulagement la chute du « boucher de Damas », comme le surnommait la presse, la prudence reste de mise.
Échaudés par les errements des interventions en Irak ou en Libye, les Européens et les Américains entendent ne pas reproduire les erreurs du passé. Mais une aide politique et économique de grande ampleur apparaît indispensable pour éviter l’effondrement total du pays.
L’avenir de la Syrie ne pourra pas se construire sans un plan Marshall international.
Un expert des questions syriennes
Reste la question épineuse de la Russie, parrain infaillible du régime Assad depuis 2015. Si Moscou a pris acte du renversement de son allié, le Kremlin entend bien peser sur l’après-guerre et défendre ses intérêts dans la région. Un acteur incontournable avec lequel il faudra composer.
Au milieu des ruines et des cicatrices laissées par une décennie de conflit fratricide, les Syriens veulent croire que le cauchemar est enfin terminé. Mais ils savent que le plus dur reste à faire. Comme le résumait ce dimanche un badaud de Damas : « Assad est parti, mais la guerre, elle, n’est pas finie ».