Lundi matin, à la frontière turco-syrienne, un jeune homme se tient dans la file des réfugiés au poste de Cilvegözü. Alikabor, 29 ans, a l’allure d’un voyageur lambda avec ses fines lunettes et sa valise-cabine. Pourtant, son périple n’a rien d’ordinaire : parti d’Allemagne, son pays d’accueil depuis sa fuite de Syrie en 2013, il s’apprête à rentrer dans son pays natal avec une mission bien précise.
Un frère disparu depuis 13 ans
« Je rentre chercher mon frère disparu. Nous sommes sans nouvelles de lui depuis treize ans », confie Alikabor, le visage grave. Originaire d’Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, il avait dû fuir à pied par la Turquie en 2013, avant de rejoindre la Grèce en bateau puis l’Allemagne. Un exil qui lui a permis d’obtenir la nationalité allemande, mais qui l’a aussi éloigné des siens.
Son frère aîné de 4 ans, alors étudiant en anglais à l’université de Homs, a mystérieusement disparu pendant l’absence d’Alikabor, parti quelques jours voir leurs parents à Idleb. Depuis, plus aucune nouvelle. « Nous ne savons pas s’il est vivant ou mort », lâche le jeune homme, ému.
Plus de 110 000 disparus en Syrie
L’histoire d’Alikabor et de son frère n’est malheureusement pas isolée. Selon le Réseau syrien pour les droits de l’homme (SNHR), plus de 110 000 personnes seraient portées disparues en Syrie, principalement aux mains du régime du président déchu Bachar el-Assad. Un drame qui a déchiré d’innombrables familles syriennes.
La chute d’Assad ravive l’espoir
Mais la donne pourrait changer. Dimanche, le président Assad a été défait par une coalition rebelle, le contraignant à l’exil en Russie selon certaines sources. Un bouleversement qui a poussé Alikabor à sauter dans le premier avion pour la Turquie, laissant derrière lui sa femme, ses trois enfants nés en Allemagne et l’entreprise de déménagement qu’il y a fondée.
« Dès l’annonce de la chute d’Assad, j’ai su que je devais y aller », explique-t-il, déterminé. Son plan : se rendre à Damas présenter la photo de son frère « aux nouvelles autorités » et faire le tour des nombreuses prisons qui s’ouvrent, libérant des flots de disparus.
Une quête incertaine mais vitale
Si Alikabor est persuadé que son frère était détenu par le régime Assad, il ignore tout de son sort actuel. « Je vais frapper partout, essayer de retrouver nos amis, demander à tout le monde », affirme-t-il, conscient de la difficulté de sa tâche dans un pays encore meurtri.
Lundi matin, c’est le cœur lourd mais empli d’espoir qu’Alikabor a franchi le portique le séparant de la Syrie, sa terre natale devenue terre d’exil et d’incertitudes. Un périple personnel au cœur des plaies encore ouvertes d’une nation brisée, symbole des innombrables tragédies vécues par le peuple syrien.