Treize longues années de guerre dévastatrice ont déchiré la Syrie. Aujourd’hui, le pays se retrouve enfin libéré du joug du régime Assad. Pourtant, l’avenir de cette nation profondément meurtrie soulève de vives inquiétudes. Le spectre d’un scénario catastrophique à l’irakienne hante les esprits. Habitants comme parrains d’un changement tant espéré redoutent que les déséquilibres et les fractures ne se propagent dans toute la région.
Une crainte renforcée par le profil des vainqueurs
L’offensive victorieuse qui a chassé Bachar el-Assad du pouvoir a été menée par des groupes armés incluant de nombreux islamistes radicaux. Parmi eux, l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, Hayat Tahrir al-Cham (HTC), occupe une place prépondérante. Son chef Mohammed al-Joulani, qui dirigeait l’assaut final, tente de redorer son blason en abandonnant son nom de guerre pour son identité civile, Ahmed al-Chareh. Mais ce changement cosmétique ne rassure guère sur ses intentions réelles.
Selon une source proche du dossier, al-Joulani multiplie les déclarations apaisantes, jurant vouloir œuvrer pour l’unité et la stabilité de la Syrie. Il s’est même rendu à la célèbre mosquée des Omeyyades à Damas pour y prier ostensiblement. Cependant, beaucoup craignent qu’il ne cherche avant tout à asseoir son pouvoir et celui de son groupe extrémiste sur le pays.
Des divisions confessionnelles exacerbées par le conflit
La guerre a creusé et envenimé les lignes de faille confessionnelles qui parcouraient déjà la société syrienne. Entre sunnites, alaouites, chrétiens, druzes et kurdes, la méfiance est à son comble. Chaque communauté redoute de faire les frais du nouveau rapport de forces issu de la chute d’Assad.
« Tous les ingrédients sont réunis pour que la Syrie implose en petits territoires sous contrôle de seigneurs de guerre locaux, sur une base communautaire ou clanique » s’alarme un diplomate occidental.
Le rôle trouble des parrains régionaux
La Syrie est devenue au fil des ans le théâtre d’une guerre par procuration entre puissances régionales. Turquie, Iran, Arabie Saoudite, Qatar… Chacun a soutenu ses poulains locaux, attisant les rivalités. Avec la victoire des rebelles, ces parrains se retrouvent en compétition pour tirer les marrons du feu.
- La Turquie mise sur ses supplétifs de « l’Armée nationale syrienne » pour étendre son influence au nord.
- Les monarchies du Golfe lorgnent les contrats de reconstruction.
- L’Iran s’accroche pour ne pas perdre son allié stratégique et son corridor vers le Liban.
Loin de jouer un rôle stabilisateur, ces ingérences attisent les divisions et sapent les chances d’une transition pacifique et inclusive. Sans un effort concerté de la communauté internationale pour contenir les appétits des puissances régionales, la Syrie risque fort de sombrer dans le chaos.
Reconstruire l’unité nationale, un défi titanesque
Éreintés par tant d’années de souffrances et de déchirements, les Syriens aspirent à tourner la page des violences pour reconstruire leur pays. Mais les plaies sont si profondes que le chemin vers la réconciliation s’annonce long et semé d’embûches.
Pour éviter l’éclatement, il faudra trouver un équilibre entre les revendications des différentes composantes de la société. Cela passera par un nouveau contrat social garantissant les droits de chacun, une répartition équitable du pouvoir et des richesses. Un véritable casse-tête dans un contexte aussi polarisé.
La tenue d’élections libres et transparentes devra être une priorité pour établir la légitimité des nouvelles institutions. Mais rien ne garantit que les vainqueurs acceptent de jouer le jeu démocratique plutôt que d’imposer leur loi par la force.
Enfin, la justice transitionnelle sera essentielle pour établir les responsabilités, obtenir réparation pour les victimes et permettre un nouveau départ. Mais les nouveaux maîtres de Damas seront-ils prêts à rendre des comptes ?
Une communauté internationale appelée à la rescousse
Pour avoir une chance de réussir sa transition post-Assad, la Syrie aura plus que jamais besoin de l’aide de la communauté internationale. Pas seulement en termes financiers pour la reconstruction, mais aussi et surtout en termes d’accompagnement politique.
L’ONU devra jouer un rôle moteur pour épauler le processus de paix et de réconciliation nationale. Une force de maintien de la paix sera sans doute nécessaire pour sécuriser le pays et empêcher les règlements de comptes.
« Si la communauté internationale se désinvestit, comme elle l’a fait en Irak après 2003, le risque est grand de voir la Syrie sombrer dans une spirale de violence et de fragmentation » prévient un analyste.
Les Etats-Unis, la Russie et l’Union Européenne, en dépit de leurs divergences, ont une responsabilité particulière. Ils devront mettre tout leur poids dans la balance pour créer les conditions d’une transition réussie.
Après tant d’années d’une guerre dont ils étaient devenus les dommages collatéraux, les Syriens méritent plus que tout de retrouver la paix, la sécurité et la dignité. La chute de Bachar el-Assad leur en offre enfin l’occasion. Aux acteurs locaux, régionaux et internationaux de se montrer à la hauteur de ce moment historique. L’avenir de la Syrie et la stabilité de toute la région en dépendent.