La Roumanie vit un séisme politique sans précédent. Vendredi, à seulement deux jours du second tour de l’élection présidentielle, la Cour Constitutionnelle a pris une décision fracassante : annuler purement et simplement le scrutin. Une première dans ce pays d’Europe de l’Est, membre de l’Union européenne depuis 2007. Motif invoqué par les juges : de « multiples irrégularités et violations de la loi électorale ayant faussé » le vote, sur fond de fortes suspicions d’ingérence russe.
Le candidat nationaliste crie au « coup d’État »
Cette annulation a provoqué la colère du grand favori du scrutin, le candidat d’extrême droite Calin Georgescu. Arrivé en tête du premier tour fin novembre, cet ancien officier âgé de 60 ans, connu pour ses positions eurosceptiques et pro-russes, semblait bien parti pour s’installer au palais Cotroceni, siège de la présidence à Bucarest. Qualifiant la décision de la Cour d' »anticonstitutionnelle » et de véritable « coup d’État », il a saisi en urgence la justice roumaine ainsi que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Furieux, M. Georgescu s’est rendu dimanche matin dans son bureau de vote, à Mogosoaia près de Bucarest, pour protester symboliquement aux côtés d’une centaine de ses partisans. « Je suis ici au nom de la démocratie », a-t-il déclaré devant l’école fermée. « C’est la journée de la Constitution, mais il n’y a rien de constitutionnel en Roumanie ! »
Un « patriote » adulé par une frange de l’électorat
Parmi la foule de manifestants, beaucoup s’indignent comme Adriana Iercau, professeure de 60 ans : « Rien, rien n’est prouvé ! Maintenant c’est comme ça, si tu as une opinion contraire à celle des télévisions asservies, tu es poutiniste. » Pour elle, Calin Georgescu est simplement « un patriote, un souverain qui aime son pays et le peuple ». Un autre protestataire dénonce « la mort de la démocratie instaurée en 1989 » à la chute du communisme.
Habitué des discours nationalistes et mystiques, M. Georgescu a par le passé affiché son admiration pour Vladimir Poutine, même s’il s’en défend aujourd’hui. Opposé à l’aide militaire à l’Ukraine, il prône surtout une « paix » rapide, un positionnement souvent observé parmi ceux relayant la rhétorique du Kremlin.
Crainte d’un virage stratégique à Bruxelles et Washington
Sa possible victoire suscitait l’inquiétude des partenaires occidentaux de la Roumanie, ce pays étant devenu un pilier de l’OTAN depuis le début de la guerre en Ukraine. D’après Bucarest, le candidat nationaliste aurait bénéficié d’une vaste campagne de désinformation sur les réseaux sociaux, en particulier TikTok, soupçonné d’avoir relayé la propagande russe. La plateforme chinoise a nié ces allégations mais a été placée sous surveillance renforcée de l’UE.
Les autorités font état de plus de 25 000 comptes TikTok directement liés à la campagne de M. Georgescu. Un certain Bogdan Peschir aurait dépensé plus de 380 000 dollars en paiements « sponsorisés » sur le réseau social entre fin octobre et fin novembre pour promouvoir le candidat nationaliste. Des perquisitions ont eu lieu samedi à son domicile.
Un scrutin à refaire, dans un climat tendu
La Cour Constitutionnelle a ordonné de recommencer l’élection présidentielle à zéro, une première dans le pays. Une décision qui devrait profiter à la rivale pro-européenne de Calin Georgescu, Elena Lasconi, donnée battue dans les sondages. Mais la date du nouveau scrutin reste à fixer et la situation politique demeure très incertaine, alors que les manifestations des partisans de M. Georgescu se poursuivent malgré les appels au calme.
Un autre leader nationaliste, George Simion, a appelé à allumer des bougies devant les bureaux de vote fermés, dans l’espoir de « surmonter cet obstacle sans précédent dans notre jeune démocratie ». Cette crise politique majeure met à l’épreuve les institutions démocratiques de la Roumanie, 35 ans après la chute de la dictature communiste de Nicolae Ceausescu. Mais elle illustre aussi les défis croissants posés par les ingérences étrangères et la désinformation dans les processus électoraux.