Au XVIIIe siècle, alors que la France rayonnait dans toute l’Europe par sa langue et sa culture, la Prusse n’échappait pas à cette tendance. Sous le règne du Roi-philosophe Frédéric II, grand admirateur de la France des Lumières, le français est devenu la langue officielle de la cour et de l’élite prussienne. Une véritable révolution culturelle qui a vu défiler les plus grands esprits français de l’époque, de Voltaire à d’Alembert, dans les couloirs du somptueux palais de Sanssouci à Potsdam.
Frédéric II, un Roi-philosophe francophile
Monté sur le trône de Prusse en 1740, Frédéric II était un grand amateur de la langue et de la culture françaises. Éduqué par des précepteurs français dès son plus jeune âge, il maîtrisait parfaitement la langue de Molière qu’il considérait comme un vecteur de progrès et d’érudition. Le jeune roi rêvait de faire de sa cour un foyer des Lumières où les arts, les lettres et la philosophie seraient à l’honneur.
Pour cela, Frédéric II s’est entouré des plus grands intellectuels français de son temps qu’il a invités à séjourner à sa cour. Parmi eux, deux figures emblématiques : Voltaire et d’Alembert. Ces derniers ont été reçus avec tous les honneurs au palais de Sanssouci, véritable joyau architectural construit en 1745 pour abriter la cour du monarque.
Voltaire, le philosophe préféré de Frédéric II
De 1750 à 1753, Voltaire a été l’hôte privilégié de Frédéric II qui vouait une véritable admiration au célèbre philosophe. Les deux hommes entretenaient une relation épistolaire depuis des années et partageaient de nombreux points communs, notamment leur goût pour la poésie, le théâtre et la philosophie. Durant son séjour prussien, Voltaire a été nommé chambellan de la cour et a reçu une généreuse pension annuelle.
«C’est bien dommage qu’une âme aussi lâche soit unie à un aussi beau génie.»
– Frédéric II à propos de Voltaire
Mais les relations entre les deux hommes se sont progressivement détériorées. Frédéric II reprochait à Voltaire son comportement mondain et sa cupidité. De son côté, le philosophe supportait mal le caractère autoritaire du roi. Leur brouille n’a pas empêché Frédéric II de continuer à admirer le génie littéraire de Voltaire, comme en témoigne cette citation accablante.
D’Alembert, le mathématicien des Lumières
Autre grande figure des Lumières invitée par Frédéric II : le mathématicien et philosophe d’Alembert. Co-directeur de la célèbre Encyclopédie avec Diderot, d’Alembert a séjourné à plusieurs reprises à la cour de Prusse entre 1763 et 1764. Le monarque appréciait particulièrement les connaissances scientifiques du Français et les deux hommes ont entretenu une riche correspondance.
Lors de ses séjours, d’Alembert a pu constater la place prépondérante du français à la cour. Voici ce qu’il écrivait à ce propos :
«Le roi ne parle que notre langue, ne lit que nos livres, ne jure que par nos auteurs, au point qu’il sait par cœur les plus beaux morceaux de nos poètes et de nos orateurs.»
– D’Alembert à propos de Frédéric II
Le français, langue officielle de la cour de Prusse
Sous l’impulsion de Frédéric II, la langue française est devenue incontournable dans les milieux aristocratiques prussiens. Parler et écrire en français était un signe de distinction et d’érudition, une sorte de "passeport culturel" indispensable pour graviter dans les hautes sphères du royaume.
- Le français était la langue des échanges à la cour et des correspondances officielles
- Les œuvres littéraires et philosophiques françaises étaient lues et commentées
- Le théâtre français était très apprécié, avec des représentations données par des troupes venues de France
Cette "francisation" de la cour prussienne ne s’est pas faite sans soulever quelques critiques, notamment de la part de l’élite germanophone qui craignait une forme de déclin culturel. Mais pour Frédéric II, la langue française était avant tout un formidable outil de rayonnement et de prestige pour son royaume.
Avec le soutien du roi, de nombreux huguenots français se sont installés en Prusse tout au long du XVIIIe siècle, renforçant encore davantage les liens entre les deux pays. Berlin comptait à l’époque une importante communauté francophone qui a contribué au développement économique et culturel de la capitale prussienne.
Un héritage culturel durable
L’influence française à la cour de Prusse sous Frédéric II a laissé des traces durables dans l’histoire et la culture allemandes. Si le français a progressivement perdu de son importance après la mort du Roi-philosophe en 1786, il est resté pendant longtemps la langue des élites cultivées et de la diplomatie.
Aujourd’hui encore, les liens tissés entre la France et la Prusse au XVIIIe siècle restent bien vivants, notamment à travers les nombreux échanges culturels et universitaires entre les deux pays. Le palais de Sanssouci, témoin majestueux de cette période faste, est devenu un haut lieu du tourisme où l’on peut encore sentir l’esprit des Lumières cher à Voltaire et d’Alembert.
L’aventure prussienne du français sous Frédéric II illustre le formidable pouvoir d’attraction qu’exerçait la langue de Molière sur les cours européennes de l’époque. Une belle leçon d’histoire qui nous rappelle que la diversité culturelle et linguistique a toujours été une richesse pour notre continent.