C’est une exposition qui fait grand bruit en Italie. Depuis ce mardi, le prestigieux Palazzo Reale de Milan accueille plus de 80 œuvres d’art qui ont une particularité hors du commun : elles ont toutes été saisies des mains de la redoutable mafia calabraise, la ‘Ndrangheta. Baptisée « SalvArti », cette exposition d’un genre nouveau met en lumière le rôle méconnu joué par le crime organisé dans le trafic d’œuvres d’art.
Un trésor artistique enfoui dans les circuits mafieux
Parmi les pièces exposées, on trouve des noms illustres comme Salvador Dali, Andy Warhol, Giorgio de Chirico ou encore le duo d’artistes Christo et Jeanne-Claude. Des chefs-d’œuvre qui auraient dû rester cachés dans les soubassements du crime organisé, mais que des enquêteurs spécialisés sont parvenus à arracher des griffes de la mafia pour les restituer au public.
La préfète Maria Rosaria Lagana, qui dirige l’agence gouvernementale chargée de la gestion des biens confisqués, explique l’importance de cette démarche :
Ces œuvres destinées à rester enfouies dans les circuits du crime organisé sont finalement rendues à la communauté, assumant un rôle symbolique de résistance au crime.
— Maria Rosaria Lagana, préfète
Quand l’art sert de monnaie d’échange pour la mafia
Si la ‘Ndrangheta et les autres mafias s’intéressent tant au marché de l’art, c’est que les œuvres de valeur constituent une monnaie d’échange idéale pour leurs trafics. Faciles à transporter et à dissimuler, des tableaux de maître peuvent servir à payer une cargaison de drogue ou une livraison d’armes, tout en échappant aux contrôles.
Un rôle trouble illustré par l’un des vols les plus spectaculaires de l’histoire italienne : celui de la Nativité avec saint François et saint Laurent du Caravage, dérobée à Palerme en 1969. Depuis, le tableau n’a jamais été retrouvé malgré d’intenses recherches. Beaucoup pensent qu’il continue de circuler dans les réseaux souterrains de la mafia.
Des saisies record pour restituer ce patrimoine au public
Face à ce phénomène, les autorités italiennes ont considérablement renforcé leur arsenal juridique et leurs moyens d’enquête. La loi anti-mafia permet désormais de confisquer les biens acquis illégalement, même en l’absence de condamnation pénale.
Des saisies record ont ainsi pu avoir lieu ces dernières années, conduisant à la récupération de centaines d’œuvres d’art. En 2014, plus de 100 millions d’euros de biens ont été saisis en Calabre, dont plusieurs tableaux de Dalí et De Chirico.
En rendant accessible au public ce patrimoine longtemps dissimulé, les autorités espèrent porter un coup symbolique aux organisations criminelles. Une manière de montrer que l’État reste plus fort que la mafia.
Au-delà de leur valeur marchande, une haute portée symbolique
Si les toiles présentées au Palazzo Reale ont une immense valeur sur le marché de l’art, leur portée dépasse largement les considérations financières. Comme l’explique le critique Vittorio Sgarbi, leur exposition revêt une signification politique et sociale majeure :
Il ne s’agit pas seulement de sublimes œuvres d’art, mais de témoins essentiels de la lutte contre la criminalité. Chacune de ces toiles est un étendard brandi contre la mafia.
— Vittorio Sgarbi, critique d’art
Pour le public italien, c’est aussi l’occasion de découvrir des œuvres souvent méconnues, dont l’existence même était parfois tenue secrète. Une petite victoire contre l’omerta et la loi du silence imposée par la mafia.
Milan, capitale de la lutte contre la criminalité artistique
Le choix de Milan pour accueillir cette exposition hautement symbolique n’est pas un hasard. La capitale lombarde est en pointe dans la lutte contre le trafic d’œuvres d’art, avec une unité spécialisée des carabiniers qui traque sans relâche les réseaux criminels.
L’an dernier, c’est à Milan qu’avait été retrouvée une toile de Banksy dérobée au Bataclan, signe de l’efficacité des services locaux. Pour le maire Beppe Sala, cette exposition témoigne de l’engagement de la ville :
Milan est fière d’accueillir ces œuvres arrachées à la criminalité. Nous voulons envoyer un message clair : la culture et la beauté sont plus fortes que la violence et l’illégalité.
— Beppe Sala, maire de Milan
Une expo amenée à voyager dans toute l’Italie
Après Milan, l’exposition « SalvArti » a vocation à voyager dans d’autres villes d’Italie, afin de diffuser ce message d’espoir au plus grand nombre. D’ici quelques mois, elle devrait s’installer au Palais de la Culture de Reggio de Calabre, en plein cœur du territoire de la ‘Ndrangheta.
Un défi audacieux qui en dit long sur la détermination des autorités à ne pas céder un pouce de terrain aux mafias. En redonnant vie à des chefs-d’œuvre longtemps séquestrés, cette exposition prouve qu’un autre destin est possible pour ce patrimoine artistique si longtemps spolié.