Face à la prolifération inquiétante des sites pirates proposant illégalement des mangas et animes, le Japon sort l’artillerie lourde. L’agence culturelle nippone vient en effet d’annoncer le lancement d’un ambitieux programme mettant l’intelligence artificielle au service de la traque des contrevenants. Une riposte technologique visant à protéger une industrie créative pesant plusieurs milliards de dollars et véritable fleuron culturel de l’archipel.
Mangas et animes, joyaux menacés de l’industrie nippone
Difficile en effet d’imaginer le rayonnement culturel japonais sans Dragon Ball, One Piece, Naruto ou autre Attack on Titan. Ces titres mondialement célèbres ne représentent pourtant que la partie émergée de l’iceberg d’une industrie culturelle en plein boom. Selon les données officielles, les secteurs du manga, de l’animation et du jeu vidéo ont engrangé en 2022 près de 30 milliards d’euros de revenus à l’international, s’imposant comme un moteur économique au même titre que l’automobile ou l’électronique.
Mais cette manne est aujourd’hui dangereusement menacée par le piratage à grande échelle. D’après un groupe d’éditeurs japonais, plus d’un millier de sites offriraient aujourd’hui des mangas en accès libre, souvent agrémentés de traductions pirates. Une perte sèche colossale pour les ayants droit, contraints d’engager des ressources humaines conséquentes dans une traque sans fin. Un combat à armes inégales que le gouvernement a décidé de muscler.
L’IA comme arme anti-piratage
Plutôt que dépenser une énergie folle à traquer manuellement les sites contrefaisants, le programme gouvernemental mise sur l’apprentissage et la puissance de l’IA. Concrètement, l’algorithme sera entraîné à repérer automatiquement les contenus pirates, par détection d’image et de texte. En cas de résultats concluants, le système pourrait être étendu à d’autres industries créatives comme le cinéma ou la musique.
Avec ce programme, les ayants droit pourront enfin lutter à armes égales face à l’hydre du piratage, en automatisant largement le processus de détection.
Keiko Momii, responsable à l’agence culturelle japonaise
L’initiative, dotée d’un budget de près de 2 millions d’euros, illustre l’importance stratégique des industries créatives pour le Japon. Avec son plan « Cool Japan », le gouvernement ambitionne de porter les exportations des contenus culturels à plus de 125 milliards d’euros d’ici 2033. Un pari qui passera nécessairement par une lutte sans merci contre le piratage.
Des défis techniques et juridiques à relever
Si la solution IA semble séduisante sur le papier, sa mise en œuvre s’annonce complexe. Entraîner un algorithme à repérer efficacement les contenus pirates, souvent retouchés ou transformés, représente un véritable défi technique. Sans compter les inévitables contestations juridiques des sites épinglés, prompts à remettre en cause la fiabilité du système.
Autant d’obstacles qui ne semblent pas effrayer outre mesure les autorités nippones, bien décidées à crédibiliser la menace de l’IA pour refroidir les ardeurs des pirates. A l’image de la Corée du Sud voisine, précurseur en la matière, le pays mise sur un cocktail de technologie avancée et d’arsenal judiciaire pour sécuriser l’avenir de ses géants culturels. Une expérimentation scrutée avec intérêt aux quatre coins de la planète.
Le Japon, nouveau gendarme mondial de la propriété intellectuelle ?
Au delà de la protection de ses propres intérêts, l’empire du Soleil Levant pourrait bien, à travers cette initiative, endosser un nouveau rôle : celui de héraut de la lutte anti-piratage au niveau mondial. En démontrant l’efficacité de l’IA dans ce domaine, le pays ouvrirait de fait la voie à une généralisation de ces outils, au service des industries culturelles du monde entier.
Une position avant-gardiste qui ne manquera pas de susciter des réactions contrastées. Si les géants mondiaux des contenus applaudiront des deux mains, les partisans d’un internet libre et ouvert dénonceront un nouvel outil de surveillance massive. Entre impératif économique et enjeux de société, le Japon s’apprête en tout cas à écrire une nouvelle page de l’histoire de la lutte contre le piratage. Premier épisode d’une saga au long cours dont on est encore loin d’entrevoir le dénouement.