Dans une affaire qui ébranle le monde des messageries cryptées, le fondateur de Telegram, Pavel Durov, a été interrogé pour la première fois au fond par un juge parisien le vendredi dernier. Cette audition s’inscrit dans le cadre d’une enquête sur la complicité présumée de la plateforme Telegram avec des agissements criminels, selon une source proche du dossier.
Arrivé au tribunal judiciaire de Paris en compagnie de ses avocats, Maîtres David-Olivier Kaminski et Christophe Ingrain, Pavel Durov s’est montré confiant envers la justice française lors d’une brève déclaration à la presse durant une pause. Cependant, il n’a pas souhaité commenter davantage sur le fond de l’affaire ou les charges qui pèsent sur lui.
Une mise en examen et un contrôle judiciaire strict
Rappelons que Pavel Durov avait été placé en garde à vue pendant quatre jours avant d’être mis en examen fin août par deux juges d’instruction. La justice lui reproche globalement de ne pas agir suffisamment contre la diffusion de contenus criminels sur sa messagerie cryptée Telegram. Une litanie d’infractions relevant de la criminalité organisée lui est reprochée.
Suite à sa mise en examen, le milliardaire de 40 ans a été remis en liberté, mais sous un lourd contrôle judiciaire. Il doit notamment verser un cautionnement de 5 millions d’euros, pointer deux fois par semaine au commissariat et il lui est interdit de quitter le territoire français. Des mesures que son avocat, Me Kaminski, juge « absurdes », estimant impensable que son client soit « impliqué » dans des crimes commis via Telegram.
Un effet positif sur la coopération de Telegram ?
Toutefois, selon une source proche de l’enquête citée par l’AFP, cette procédure judiciaire aurait eu un effet positif, en France comme ailleurs. Telegram se mettrait désormais à répondre plus fréquemment aux réquisitions judiciaires. Une évolution notable, même si l’entreprise reste souvent avare en informations pour les enquêteurs.
Telegram victime de son succès ?
Mi-septembre, dans son premier message public depuis son arrestation, Pavel Durov est revenu sur l’affaire via sa plateforme Telegram. Il s’est dit « surpris » d’être tenu pour responsable des contenus publiés par d’autres et a qualifié l’approche française de « malavisée ». Cependant, il a reconnu que la forte croissance de Telegram, qui compterait désormais 950 millions d’utilisateurs dans le monde selon lui, a créé une situation permettant « aux criminels d’abuser plus facilement » de la plateforme.
« Si 99,999% des utilisateurs de Telegram n’ont rien à voir avec la criminalité, les 0,001% impliqués dans des activités illicites donnent une mauvaise image » de l’application.
Pavel Durov, fondateur de Telegram
Les enjeux pour Telegram et les messageries cryptées
Cette affaire met en lumière les défis auxquels sont confrontées les messageries cryptées comme Telegram. D’un côté, elles mettent en avant la protection de la vie privée et la liberté d’expression de leurs utilisateurs. De l’autre, elles sont accusées de faciliter les activités criminelles en rendant plus difficiles les enquêtes.
Pour Telegram, l’enjeu est de taille. Si la plateforme ne parvient pas à trouver un équilibre entre protection des données et coopération judiciaire, elle risque de voir sa réputation ternie et son développement freiné, notamment en Europe où les régulateurs se montrent de plus en plus stricts sur ces questions.
Pavel Durov, avec ses multiples nationalités (française, russe, émiratie…), devra naviguer habilement entre les différentes juridictions pour sortir Telegram de cette zone de turbulences. Son interrogatoire par un juge français n’est qu’une étape dans cette procédure complexe qui risque de durer plusieurs mois, voire années.
En attendant, Telegram reste sous surveillance, en France comme ailleurs. Chacun de ses mouvements sera scruté, décortiqué. Car au-delà du cas Durov, c’est tout le modèle des messageries cryptées qui est sur le banc des accusés. Un procès en responsabilité qui ne fait que commencer.