Assis confortablement dans un large fauteuil, vêtu d’un costume soigné, il s’exprime d’une voix posée. L’image est étudiée, le message limpide. Abou Mohammed al-Joulani, chef du groupe rebelle Hayat Tahrir al-Sham (HTS), tente de se présenter sous un nouveau jour : celui d’un homme politique modéré, alternative crédible au régime de Bachar el-Assad. Une mue étonnante pour celui qui figure sur la liste des terroristes les plus recherchés au monde.
D’Al-Qaïda aux négociations de paix
Le parcours d’al-Joulani est loin d’être anodin. Vétéran de la guerre d’Irak, il fut l’un des principaux lieutenants d’Al-Qaïda avant de prendre la tête de sa branche syrienne en 2012. Après une scission houleuse, il fonde HTS, groupe armé à la réputation sulfureuse, connu pour ses liens avec les mouvances djihadistes internationales. Une origine radicale qu’al-Joulani tente aujourd’hui de faire oublier.
Le régime est mort, nous devons construire une alternative politique crédible pour la Syrie.
Abou Mohammed al-Joulani, lors d’une interview à CNN
Une offensive militaire doublée d’une offensive de charme
Les récentes victoires de HTS sur le terrain, avec notamment la prise des villes d’Alep et de Hama, ont donné à al-Joulani une fenêtre d’exposition médiatique inespérée. Une opportunité qu’il a su saisir en multipliant les apparitions soignées et les déclarations conciliantes. Fini l’uniforme de combat et la longue barbe des débuts. Le chef rebelle arbore désormais costume cravate et discours policé, comme pour mieux faire oublier son passé trouble.
Derrière les apparences, les vieux réflexes
Pourtant, derrière cette façade lisse, les pratiques de HTS sur le terrain restent proches de celles des groupes djihadistes. Selon des sources locales, le groupe n’hésite pas à recourir aux arrestations arbitraires et aux exactions contre les civils dans les zones sous son contrôle. Des exactions documentées par de nombreuses ONG de défense des droits de l’homme, qui invitent à la plus grande prudence face à cette tentative de normalisation.
Vers une reconnaissance internationale ?
Le pari d’al-Joulani est risqué mais potentiellement payant. En se positionnant comme une troisième voie entre le régime et les groupes djihadistes, il espère obtenir une forme de reconnaissance internationale. Un scénario qui ne serait pas sans rappeler le parcours des talibans afghans, passés en quelques années du statut de parias à celui d’interlocuteurs incontournables. Reste à savoir si la communauté internationale se laissera séduire par cette mue express.
L’offensive d’Idlib, un tournant dans le conflit syrien
Quel que soit l’avenir d’al-Joulani, l’offensive lancée depuis la poche d’Idlib marque un tournant dans le conflit syrien. Après des années d’enlisement, les lignes de front bougent à nouveau, bousculant les fragiles équilibres de la région. Une situation explosive, alors que le Liban voisin est lui-même secoué par un regain de violences. Plus que jamais, l’avenir de la Syrie semble suspendu aux ambitions de ses seigneurs de guerre, qu’ils portent treillis ou cravate.
La situation en Syrie est plus confuse que jamais. Tous les acteurs tentent de tirer leur épingle du jeu, au risque de relancer le cycle infernal de la violence.
Une source diplomatique occidentale
La Turquie et la Russie, arbitres du conflit
Dans ce grand jeu diplomatico-militaire, deux acteurs tiennent une place prépondérante : la Turquie et la Russie. Ankara, qui soutient ouvertement les rebelles, voit dans l’offensive d’Idlib une occasion de renforcer son emprise sur le nord de la Syrie. Moscou, allié indéfectible de Damas, s’inquiète de son côté d’un affaiblissement du régime. Un nouveau test pour le fragile partenariat turco-russe, déjà mis à mal en Libye et dans le Haut-Karabakh.
Quel avenir pour les civils syriens ?
Au milieu de ces luttes d’influence, c’est le sort des civils syriens qui semble le plus incertain. Pris en étau entre le régime, les rebelles et les puissances étrangères, ils continuent de payer le prix fort d’une guerre qui n’en finit pas. Selon l’ONU, près de 80% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté, tandis que des millions de réfugiés restent bloqués dans les pays voisins, sans espoir de retour. Une tragédie humanitaire qui risque de s’aggraver encore si les armes ne se taisent pas rapidement.
Nous sommes fatigués de la guerre, fatigués de fuir. Tout ce que nous voulons, c’est vivre en paix et reconstruire notre pays.
Ahmad, réfugié syrien au Liban
Au final, le grand perdant de cette nouvelle phase du conflit syrien risque bien d’être le processus de paix lui-même. Alors que les négociations inter-syriennes patinent depuis des années, cette escalade militaire risque de réduire encore un peu plus l’espace pour le dialogue et le compromis. Une perspective sombre pour un pays déjà meurtri par une décennie de guerre civile.