La course à la construction de la première centrale nucléaire au Kazakhstan vient de prendre un nouveau tournant. Ce pays d’Asie centrale, premier producteur mondial d’uranium, a annoncé vendredi être en négociations avec la France pour ce projet stratégique. Mais la compétition s’annonce rude, la Russie, la Chine et la Corée du Sud étant également sur les rangs.
Selon une source proche du dossier, le géant français Electricité de France (EDF), sa filiale Framatome et Arabelle Solutions, fournisseur de turbines pour réacteurs nucléaires, sont au cœur de ces discussions menées à Paris du 4 au 6 décembre. Une avancée concrète, un mois après qu’Emmanuel Macron a proposé l’aide de la France au Kazakhstan dans le nucléaire civil lors d’un entretien avec le président Kassym-Jomart Tokaïev.
Cette offre intervient alors que le Kazakhstan, immense ex-république soviétique riche en uranium mais manquant cruellement d’électricité, a validé à l’automne par référendum la construction de sa première centrale. Un projet qui aiguise les appétits des grandes puissances, soucieuses de renforcer leur influence dans cette région charnière entre Russie et Chine.
Une bataille géopolitique pour l’énergie en Asie centrale
Car au-delà de l’enjeu énergétique, c’est bien une bataille géopolitique qui se joue en coulisses. D’un côté, la Russie, puissance historique en Asie centrale, mise sur son fleuron national du nucléaire Rosatom pour décrocher le contrat. De l’autre, la Chine, désormais incontournable dans la région, compte bien faire valoir son poids économique. Sans oublier la Corée du Sud, outsider ambitieux.
Preuve de l’importance stratégique de ce dossier, Vladimir Poutine a assuré avoir « prêté beaucoup d’attention » à la question de la centrale lors de sa récente rencontre avec son homologue kazakh. Un message clair envoyé à la France et ses entreprises, qui espèrent bien percer sur ce marché prometteur mais très concurrentiel.
La France à l’offensive dans le nucléaire à l’international
Pour la France, décrocher ce contrat au Kazakhstan représenterait une victoire majeure. Confronté à des défis industriels sur son parc nucléaire national vieillissant, l’Hexagone mise plus que jamais sur l’export de son savoir-faire dans l’atome civil pour faire tourner la filière et peser dans la reconfiguration énergétique mondiale.
Un enjeu d’autant plus crucial depuis la crise ukrainienne, qui a rebattu les cartes de la géopolitique de l’énergie et poussé de nombreux pays à diversifier leurs sources d’approvisionnement, en privilégiant des partenaires fiables. Dans ce contexte, le nucléaire français pourrait tirer son épingle du jeu, en offrant une alternative décarbonée et souveraine aux hydrocarbures russes.
Le Kazakhstan est un partenaire clé pour sécuriser nos approvisionnements en uranium naturel et développer une filière nucléaire durable et responsable.
– Un haut responsable français
Cap sur l’uranium kazakh et la sûreté nucléaire
Au-delà du prestige d’un tel contrat, la France a des intérêts très concrets à faire valoir au Kazakhstan. Troisième fournisseur d’uranium naturel de l’Union européenne, le pays pourrait devenir un partenaire privilégié pour sécuriser l’approvisionnement du parc nucléaire français et européen, à l’heure où cette question revient sur le devant de la scène.
Lors de leur visite à Paris, les responsables kazakhs ont d’ailleurs visité l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et une usine de production d’équipements pour centrales. Une manière de montrer que la France met en avant son expertise en matière de sûreté et de gestion des risques, un argument de poids pour rassurer l’opinion publique.
L’ombre de Fukushima et les défis du nucléaire dans les steppes
Car le souvenir de la catastrophe de Fukushima en 2011 reste présent dans les esprits, y compris au Kazakhstan, pays sismique et sujet à des tensions sur la gestion de l’eau. Des risques qu’il faudra prendre en compte dans la conception et l’emplacement de la future centrale, prévue près du lac Balkhach, dans un village à moitié abandonné du sud du pays.
Autant de défis techniques, environnementaux et humains qui mettront à l’épreuve l’expertise française, si elle venait à l’emporter. Mais dans la compétition mondiale pour la suprématie nucléaire et la transition énergétique, le jeu en vaut la chandelle. Le Kazakhstan pourrait bien être le prochain terrain de cette grande partie d’échecs géopolitique.
La construction d’une centrale est un projet de très long terme qui engage un pays pour des décennies. Il faut choisir le bon partenaire, fiable et expérimenté.
– Un expert du secteur
Une décision lourde de conséquences pour l’avenir énergétique et stratégique du Kazakhstan. Et un test grandeur nature pour la filière nucléaire française, en quête de nouveaux marchés et de renaissance post-Fukushima. La bataille ne fait que commencer.