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Réforme Fiscale au Nigeria : Divisions Régionales Exacerbées

Le Nigéria ébranlé par un projet de réforme fiscale qui avive les fractures entre le Nord et le Sud. Le président Tinubu parviendra-t-il à apaiser les tensions ?

Le Nigeria, géant de l’Afrique de l’Ouest, se trouve aujourd’hui ébranlé par un projet de réforme fiscale qui met en lumière les profondes divisions entre le Nord à prédominance musulmane et le Sud majoritairement chrétien. Cette réforme, présentée en septembre par le président Bola Ahmed Tinubu, vise à rationaliser le système fiscal complexe du pays et à attirer les investisseurs. Mais elle suscite une vive opposition dans les États du Nord, qui y voient une manœuvre pour les appauvrir au profit du Sud.

Un projet ambitieux aux enjeux cruciaux

Avec plus de 50 taxes jugées « néfastes », le Nigeria a un besoin urgent de simplifier sa fiscalité pour stimuler son économie. Le comité de réforme fiscale présidentiel a donc élaboré des projets de loi visant à réduire le nombre de taxes et à ramener l’impôt sur les sociétés de 30% à 25%. L’objectif est de créer un environnement plus favorable aux entreprises locales et étrangères.

Mais c’est sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) que le bât blesse. Le projet prévoit une augmentation de la TVA à 10%, puis à 15% d’ici 6 ans. Et surtout, il veut que la TVA soit versée à l’État où les biens et services sont consommés, et non plus à celui où se trouve le siège de l’entreprise qui les fournit. Un changement qui avantagerait Lagos, la capitale économique, et l’État pétrolier de Rivers, où sont basées la plupart des grandes entreprises.

Le Nord crie à l’injustice

Pour les élites politiques du Nord, ce projet est un stratagème du président Tinubu, originaire du Sud, pour favoriser sa région au détriment de la leur. Les 19 gouverneurs des États du Nord ont rejeté « à l’unanimité » la réforme, appelant les législateurs à la bloquer. Ils dénoncent un texte qui porterait atteinte au « bien-être » de leur population.

Le Nord, qui a vu la plupart de ses usines fermer, dépend des produits fabriqués à Lagos ou importés. Paradoxalement, c’est aussi le Nord qui produit la majorité des denrées agricoles du Nigeria, exemptées de TVA. Mais ces produits bruts sont transformés dans les usines du Sud avant de revenir dans le Nord, où la TVA est payée par les consommateurs. Un mécanisme jugé inéquitable.

Une mobilisation massive et des appels au boycott

Face à ce qu’ils perçoivent comme une injustice, les dirigeants du Nord montent au créneau. Lors de leur réunion à Kaduna fin octobre, les gouverneurs ont demandé aux législateurs de la région de rejeter le projet de loi. Les religieux musulmans, très influents, se sont emparés du sujet lors des prières du vendredi, exhortant les fidèles à ne pas voter pour les députés qui soutiendraient la réforme aux élections de 2027.

Nous n’accepterons jamais une loi destinée à appauvrir notre peuple pendant que d’autres s’enrichissent sur notre dos.

Un imam de Kano lors de son sermon

Le gouvernement tente de calmer le jeu

Face à cette fronde, le gouvernement fédéral multiplie les démentis, assurant que la réforme n’a pas pour but d’appauvrir le Nord. Mais la défiance reste forte. Dans un communiqué, la présidence a rejeté les accusations, les jugeant « non fondées sur les faits, la réalité ou une connaissance suffisante des projets de loi ». Elle réfute notamment l’idée que Lagos et Rivers seraient avantagées au détriment des autres.

Pour tenter de désamorcer la crise, le président Tinubu a demandé au ministre de la Justice de consulter les législateurs afin de « s’assurer que toutes les préoccupations réelles ont été prises en compte ». Mais nombre d’observateurs doutent que cela suffise à apaiser les tensions. Car au-delà des enjeux fiscaux, c’est bien la question de l’unité nationale et du vivre-ensemble qui est posée.

Un pays, deux réalités

Avec ses 210 millions d’habitants, le Nigeria est un géant démographique et économique, mais aussi un colosse aux pieds d’argile. Les disparités entre le Nord et le Sud sont criantes en termes de développement, d’éducation, d’accès aux services de base. Un fossé qui nourrit les frustrations et les ressentiments.

Le Nord a l’impression d’être toujours perdant face au Sud. Cette réforme fiscale est vécue comme une énième humiliation.

Un analyste politique de l’université d’Abuja

Pour beaucoup, cette crise est le symptôme d’un mal plus profond : celui d’une nation qui peine à trouver son unité dans sa diversité. Ethnies, religions, régions… Les lignes de fracture sont nombreuses et anciennes. Et chaque décision politique est scrutée à l’aune de ces clivages.

Un test pour la jeune administration Tinubu

Arrivé au pouvoir en mai 2023, Bola Ahmed Tinubu avait promis de réformer en profondeur le pays pour libérer son potentiel économique. Ancien gouverneur de Lagos, il est vu par ses détracteurs comme le représentant des intérêts du Sud. La gestion de cette crise sera un test majeur pour son leadership et sa capacité à incarner l’unité nationale au-delà des clivages.

Certains l’appellent déjà à revoir sa copie pour trouver un compromis acceptable par tous. D’autres l’exhortent à ne pas céder aux pressions régionalistes pour imposer les réformes nécessaires au développement du pays. Un dilemme cornélien pour le président Tinubu, qui joue là une partie de sa crédibilité et de son autorité.

Une occasion manquée pour le fédéralisme fiscal ?

Au-delà des passions, certains experts y voient une occasion manquée d’aller vers plus de fédéralisme fiscal, en donnant aux États plus d’autonomie dans la collecte et la gestion des taxes. Une piste qui permettrait de responsabiliser les gouverneurs et de les inciter à développer leur base fiscale propre, plutôt que de dépendre des subsides du centre.

Le Nigeria a besoin d’une vraie réflexion sur son modèle de développement et de gouvernance. La centralisation à outrance a montré ses limites.

Un économiste nigérian travaillant pour un think-tank international

Mais cette voie se heurte aux résistances des élites politiques, peu enclines à lâcher du lest sur leurs prérogatives. Et surtout, elle suppose un niveau de confiance et de maturité démocratique qui fait encore défaut dans le pays le plus peuplé d’Afrique, miné par la corruption et les luttes de pouvoir.

Un enjeu qui dépasse les frontières du Nigeria

La crise nigériane est suivie avec attention par les partenaires occidentaux, qui voient dans ce pays un pivot essential pour la stabilité et la croissance de l’Afrique de l’Ouest. Washington et Bruxelles ont multiplié les appels au dialogue et à l’apaisement, craignant qu’une escalade des tensions n’affecte toute la région.

Car le Nigeria n’est pas un cas isolé. Partout en Afrique, les questions de justice fiscale et de répartition des ressources sont au cœur des débats et des revendications citoyennes. Du Sénégal au Kenya en passant par la Zambie, les mobilisations se multiplient pour demander plus de transparence et d’équité dans la gestion des deniers publics.

Un défi immense pour des États encore fragiles, qui peinent à concilier les impératifs de développement, les attentes sociales et les équilibres politiques précaires hérités de l’histoire. La réforme fiscale nigériane, et les passions qu’elle déchaîne, en est une illustration saisissante.

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