Au cœur du tumulte syrien, un tournant géopolitique s’opère. L’offensive rebelle qui secoue le nord du pays replace la Syrie au centre de l’échiquier international, bousculant au passage la stratégie américaine dans la région. Pour la première fois depuis le début de la guerre civile en 2011, le régime de Bachar al-Assad a perdu le contrôle total d’Alep, deuxième ville du pays, tombée aux mains d’une coalition de groupes rebelles dominée par des islamistes radicaux. Un revirement de situation qui survient à point nommé pour Donald Trump, de retour à la Maison Blanche, et qui pourrait y voir une opportunité inattendue de redessiner le Moyen-Orient.
Un nouvel équilibre des forces en Syrie
Ce regain de tension en Syrie s’accompagne d’un affaiblissement des alliés traditionnels du régime. L’offensive rebelle a coïncidé avec l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu au Liban entre Israël et le Hezbollah, affaibli par des années de guerre. La Russie, autre soutien de poids de Damas, est pour sa part accaparée par le conflit ukrainien. Une conjoncture qui rebat les cartes et ouvre de nouvelles perspectives pour les États-Unis.
Washington face à un dilemme
Pourtant, la position américaine sur la Syrie a peu évolué en une décennie. Si les États-Unis estiment que Bachar al-Assad a perdu toute légitimité, son éviction du pouvoir n’est pas leur priorité, les rebelles ne représentant pas selon eux une alternative crédible. Comme le souligne Andrew Tabler, ex-conseiller de Donald Trump sur la Syrie, le président Joe Biden a même « complètement évincé » ce dossier. Mais les revers subis sur le terrain pourraient enfin contraindre le dirigeant syrien à une solution négociée, à laquelle il s’est longtemps opposé.
« Un nouveau gouvernement (américain) plus attentif à la Syrie et aux conflits de ce type sera mieux à même de gérer la situation »
Andrew Tabler, ex-conseiller de Donald Trump sur la Syrie
Entre intérêts stratégiques et valeurs
Mais la donne est complexe pour Washington. Comme le rappelle Joshua Landis, expert de la Syrie, l’objectif premier des États-Unis a toujours été de « soutenir Israël et nuire à l’Iran et la Russie ». De ce point de vue, l’offensive rebelle servirait les intérêts américains en renversant l’équilibre régional. Une victoire des insurgés permettrait de rompre le « croissant chiite » via lequel Téhéran a étendu son influence jusqu’au Liban. Un scénario favorable à Israël mais qui placerait un pouvoir islamiste radical aux portes de l’Europe.
Se pose aussi la question du sort des Kurdes, alliés de Washington contre l’État islamique, mais considérés comme une menace par la Turquie. Les États-Unis se retrouvent donc face à un dilemme moral et stratégique. Faut-il privilégier une Syrie affaiblie et morcelée ou accepter un pouvoir islamiste potentiellement hostile ? Une équation à laquelle devra répondre la diplomatie américaine.
L’heure des choix pour Trump
L’administration Biden a consacré plus d’un milliard de dollars à l’aide humanitaire en faveur des déplacés syriens. Mais avec le retour de Donald Trump, connu pour ses positions imprévisibles sur la scène internationale, l’incertitude demeure. L’ancien président avait ordonné en 2019 le retrait des troupes américaines de Syrie, avant de faire marche arrière sous la pression internationale. Ses intentions restent floues, d’autant qu’il a nommé à la tête du Renseignement national Tulsi Gabbard, qui avait par le passé fait des déclarations favorables à Bachar al-Assad.
Alors que les pays arabes renouent progressivement avec Damas, craignant un nouvel afflux de réfugiés, la question de l’avenir de la Syrie est plus que jamais ouverte. Face à ces « dynamiques de pouvoir fluctuantes », souligneNT des experts, les États-Unis pourraient avoir une carte à jouer pour redéfinir l’architecture sécuritaire régionale. Mais à quel prix, et surtout pour quels objectifs? L’histoire récente a montré les limites et les périls des ingérences étrangères dans les conflits moyen-orientaux. À Donald Trump d’en tirer les leçons pour façonner une stratégie aussi audacieuse que responsable.