C’est un incident aussi soudain que révélateur des tensions qui agitent actuellement l’Assemblée nationale. Ce mardi 3 décembre, alors que le Premier ministre Michel Barnier rendait un vibrant hommage à l’ancien député d’Ille-et-Vilaine René Couanau, décédé le 30 novembre à l’âge de 88 ans, il a été brutalement interrompu par les députés insoumis, suscitant l’indignation sur tous les bancs.
Tout avait pourtant bien commencé. Avant de répondre à une question du chef de file des députés communistes André Chassaigne, Michel Barnier avait tenu à saluer la mémoire de celui qui fut un « député très actif » et « un grand maire de Saint-Malo ». « Il se trouve d’ailleurs que j’ai été il y a très longtemps membre du même cabinet ministériel que lui », a-t-il ajouté, évoquant avec émotion cette période où René Couanau fut son « chef de cabinet auprès du ministre de la Jeunesse et des Sports… »
Les députés insoumis crient au scandale
C’est alors que des cris ont commencé à fuser depuis les rangs des députés insoumis : « Mais quel scandale ! », entendait-on dans un vacarme grandissant, couvrant la voix du Premier ministre stupéfait. Pendant de longues secondes, l’hémicycle s’est transformé en une véritable cour de récréation, obligeant la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet à hausser le ton pour ramener un semblant d’ordre.
J’entends qu’on se respecte dans cet hémicycle. On parle de la mémoire d’un homme qui vient de décéder madame la députée, c’est scandaleux !
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale
Visiblement ému par cet incident, Michel Barnier a conclu son hommage en lançant, amer : « Juste du respect, et un peu plus de calme aussi. Monsieur Chassaigne il m’arrive de penser comme vous que cette assemblée a bien changé ». Un constat partagé par de nombreux députés, sidérés par ce qu’ils venaient de vivre.
Un incident révélateur des tensions
Pour beaucoup d’observateurs, cet épisode en dit long sur le climat délétère qui règne au Palais Bourbon depuis l’arrivée de Michel Barnier à Matignon et l’activation du 49.3 pour faire passer en force le budget de la sécurité sociale. Les oppositions, menées par les députés insoumis, multiplient les actions coup de poing pour déstabiliser l’exécutif, quitte à franchir certaines lignes rouges.
D’après une source proche du gouvernement, cet incident aurait même été « prémédité » par les troupes de Jean-Luc Mélenchon pour « porter un coup » au Premier ministre en plein hommage. « C’est indigne de la fonction de parlementaire. On ne fait pas de politique sur le dos d’un homme qui vient de nous quitter », s’insurge ce membre de la majorité.
L’opposition dénonce une « manipulation »
Côté opposition en revanche, on crie à la « manipulation » et à « l’instrumentalisation » de ce décès par le gouvernement. Certains élus de gauche soulignent que Michel Barnier a « insisté lourdement » sur sa proximité passée avec René Couanau pour mieux les faire passer pour des « sans-cœurs » et des « fauteurs de troubles ».
« Le Premier ministre a délibérément cherché à nous prendre en défaut en sachant très bien que nous réagirions à sa petite anecdote personnelle, assène un député LFI sous couvert d’anonymat. C’était un piège grossier et nous n’allions certainement pas laisser passer ça ! »
Qui était René Couanau, l’homme au cœur de la polémique ?
Au-delà de cette vive polémique, qui était vraiment René Couanau, cet ancien élu dont l’hommage a viré au pugilat ? Maire de Saint-Malo de 1989 à 2014, il fut député d’Ille-et-Vilaine de 1988 à 1997 et de 2002 à 2012, siégeant dans les rangs de l’UDF puis de l’UMP. Ancien secrétaire d’État à l’Enseignement technique dans le gouvernement d’Édouard Balladur de 1993 à 1995, il était considéré comme une figure tutélaire de la droite bretonne.
- Élu local enraciné, il a profondément transformé et modernisé la ville de Saint-Malo durant ses 25 ans de mandat
- Homme de dossiers et fin négociateur, il s’est illustré à l’Assemblée sur les textes liés à l’éducation et à la formation professionnelle
- Tenant d’une droite sociale, il a souvent joué les médiateurs entre les différentes sensibilités de sa famille politique
Sa disparition a suscité de nombreux hommages à droite comme à gauche, saluant le parcours d’un « homme de conviction et de dialogue ». Un héritage bien mal honoré par le triste spectacle qui s’est déroulé ce mardi dans l’hémicycle, et qui en dit long sur la dégradation des mœurs politiques dans notre pays. Face à la brutalité et à l’irrespect, ne l’oublions pas : le respect dû à nos morts devrait tous nous rassembler.