Imaginez découvrir qu’une vidéo pornographique truquée avec votre visage circule massivement sur Internet. C’est le cauchemar vécu par Azma Boukhari, femme politique pakistanaise victime d’un deepfake à caractère sexuel. Dans ce pays musulman ultra conservateur, où relations hors mariage et concubinage sont passibles de poursuites, les conséquences peuvent être dévastatrices.
L’Explosion des Deepfakes en Politique
Lors des législatives de février au Pakistan, l’usage des deepfakes a explosé. Tous les partis assument désormais recourir à l’intelligence artificielle sur leurs réseaux sociaux. Mais rapidement, ces montages ont servi à attaquer des politiciennes, visant leur vie privée : rôle d’épouse, de mère, vie sexuelle.
Selon les experts, les deepfakes sont des armes redoutables pour intimider et dénigrer des Pakistanaises déjà rares en politique. Seulement 60 sièges sur 266 leur sont réservés à l’Assemblée nationale hors scrutin, et peu de femmes sont élues hors quota. Les partis, effrayés qu’on s’en prenne à la réputation de leurs candidates, les placent rarement sur des sièges éligibles.
Un Seuil d’Atteinte à la Réputation Très Bas
Au Pakistan, le seuil d’atteinte à la réputation des femmes est beaucoup plus bas que dans d’autres pays. Un code patriarcal strict régit leur vie et leurs droits. Une fois visées par des deepfakes, leur image est vue comme immorale et c’est l’honneur de toute une famille qui est perdu. Dans un pays où les crimes d’honneur sont courants, cela peut les mettre gravement en danger.
Meena Majeed, ministre du Baloutchistan, a ainsi été visée par un deepfake la montrant en train d’étreindre un ministre homme avec la légende : « L’impudeur n’a pas de limites ». Maryam Nawaz, ministre en chef du Pendjab, est régulièrement attaquée par des vidéos truquées la montrant en train de danser lascivement. Azma Boukhari elle-même a été insultée en ligne pour des images trafiquées où elle apparaît le bras autour de l’épaule de son mari en public, un geste anodin mais jugé indécent par certains.
Un Combat pour la Justice et la Régulation
Azma Boukhari a entamé une double bataille : obtenir justice, avec une preuve certifiée de la justice qu’elle est victime d’une technologie truquée, et faire réguler les réseaux sociaux. Sans papier officiel, impossible pour elle de faire taire les rumeurs ou de contraindre les plateformes à supprimer les montages.
Mais réguler les réseaux sociaux est un défi de taille. Une loi de 2016 « pour prévenir les crimes en ligne » mentionne les trucages numériques non consentis, mais est jugée insuffisante. Les contenus s’échangent souvent sur des messageries fermées comme WhatsApp et Telegram, compliquant la modération. Et les responsables de deepfakes sont souvent à l’étranger, donc difficiles à traduire en justice.
Le Pakistan a déjà un temps interdit YouTube et TikTok. Aujourd’hui, X (ex-Twitter), plateforme quasi sans modération où règnent les deepfakes pornographiques, est bannie mais contournée via VPN. Le combat de Mme Boukhari pour réguler les réseaux sociaux inquiète les experts en numérique, qui dénoncent un système de contrôle en ligne ralentissant fortement Internet. Pour eux, blocage et censure ne sont pas des solutions et violent d’autres droits fondamentaux.
Un Défi Éducatif dans une Société peu Connectée
Avec moins de 30% des 240 millions de Pakistanais sur les réseaux sociaux, l’éducation aux médias et aux nouvelles technologies est faible et la désinformation règne. Beaucoup peinent à identifier les deepfakes et leurs dangers. Les victimes comme Azma Boukhari doivent non seulement se défendre judiciairement, mais aussi éduquer une société encore peu sensibilisée à ces enjeux.
La lutte contre les deepfakes passe aussi par une meilleure représentation et protection des femmes en politique. Tant que leur présence restera marginale et précaire, elles resteront des cibles faciles. Renforcer leurs droits, sécuriser leurs carrières et changer les mentalités patriarcales sont des combats de long terme, mais essentiels pour éviter que ces nouvelles technologies ne deviennent leur pire ennemi.