Tandis que la majestueuse cathédrale Notre-Dame de Paris se prépare à rouvrir ses portes après l’incendie dévastateur d’avril 2019, un fascinant ballet diplomatique se joue en coulisses entre le président Emmanuel Macron et l’Eglise catholique. Cette valse-hésitation illustre à merveille les liens complexes et paradoxaux qui unissent l’Etat français et la religion, dans un pays où la laïcité est érigée en pilier fondamental.
Un jeu d’influences subtil autour de la réouverture
Initialement, le chef de l’Etat devait prononcer un discours à l’intérieur de Notre-Dame pour célébrer en grande pompe sa réouverture, cinq ans jour pour jour après le terrible incendie qui a ému la planète entière. Mais l’Elysée a ensuite annoncé que Macron s’exprimerait finalement sur le parvis, avant d’opter in extremis pour une visite de chantier la veille de l’inauguration officielle. Derrière ces atermoiements se cache la volonté des autorités ecclésiastiques d’éviter toute récupération politique ou affichage opportuniste, comme l’explique une source proche du dossier.
La loi de 1905, une séparation pas si absolue
Car si la loi de 1905 sur la laïcité a officiellement consacré la séparation des Eglises et de l’Etat après des années de lutte de pouvoir, la réalité est plus nuancée. Selon l’expert Patrick Weil, un « paradoxe » subsiste : bien que l’Eglise ne doive plus se mêler de politique, un lien financier perdure. Les lieux de culte historiques comme Notre-Dame appartiennent ainsi à l’Etat, qui a la charge de les entretenir et de les mettre gratuitement à disposition des fidèles.
Macron, « maître d’ouvrage » de la restauration
Conséquence directe : la restauration de la cathédrale a été pilotée de bout en bout par l’exécutif, reléguant l’Eglise à un rôle de figurant. Dès le lendemain de l’incendie, Emmanuel Macron avait promis une reconstruction en seulement cinq ans, un pari audacieux finalement tenu grâce à une mobilisation exceptionnelle des mécènes. Au total, ce sont 843 millions d’euros qui ont été récoltés, dont 140 millions restant à utiliser pour rénover l’abside et les arcs-boutants.
L’archevêque cantonné aux choix liturgiques
Dans ce grand chantier étatique, l’archevêque de Paris Laurent Ulrich a dû se contenter de choisir le nouveau mobilier liturgique : un sobre autel en bronze, des fonts baptismaux évoquant une surface d’eau, ou encore un écrin pour les précieuses reliques vénérées par les chrétiens, comme la couronne d’épines du Christ. Son influence s’est également limitée à la sélection des vêtements liturgiques, confiée au créateur de mode Jean-Charles de Castelbajac.
Un terrain d’entente : l’art contemporain
Le président et l’archevêque semblent néanmoins s’être accordés sur un point : leur souhait commun d’intégrer des œuvres d’artistes contemporains dans la cathédrale, en remplaçant certains vitraux du XIXe siècle. Une volonté qui se heurte cependant aux protestations d’historiens de l’art attachés à une restauration à l’identique. Parmi les noms pressentis figure celui du peintre Daniel Buren, maître des installations in situ.
Une double inauguration sous haute surveillance
Révélatrice de ce drôle de pas de deux, la cérémonie d’inauguration de samedi prochain se déroulera en deux temps : une partie « républicaine » en extérieur, en présence de nombreux chefs d’Etat comme le président allemand Steinmeier, puis une partie « liturgique » à l’intérieur où l’archevêque reprendra symboliquement possession des lieux. Le pape François a décliné l’invitation, préférant se rendre à un colloque en Corse une semaine plus tard. Certains y voient une manière d’éviter d’apparaître comme « faisant de la publicité » pour Macron en pleine réforme controversée des retraites.
Il n’a pas voulu participer à un évènement de publicité pour Macron.
– Patrick Weil, politologue
Autre invité de marque, le président américain Donald Trump a annoncé sa venue pour « assister à la réouverture de la cathédrale magnifique et pleine d’histoire de Notre-Dame ». Il s’agira de son premier déplacement à l’étranger depuis sa réélection surprise en novembre dernier. Sa présence promet de braquer encore davantage les projecteurs sur cet évènement déjà hautement symbolique.
Notre-Dame de Paris concentre ainsi bien des passions et des enjeux, religieux, politiques, diplomatiques ou encore patrimoniaux. Un concentré de l’Histoire de France qui continue de s’écrire sous nos yeux, au gré des joutes subtiles entre le temporel et le spirituel. Une chose est sûre : même meurtrie, la « vieille dame » n’a pas fini de fasciner et de diviser.